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Pourquoi on a envie de massacrer les passagers de la classe affaires en avion

À 10.000 mètres d'altitude, la lutte des classes peut faire de vous une véritable bête sauvage.
Image: Flickr/Sarah_Ackerman

Voici une histoire vraie : un jour, peu avant 6h du matin, j'étais en train d'attendre à la porte d'embarquement pour prendre un vol à l'aéroport de Dallas. L'équipage avait pris du retard, et moi et mes camarades d'infortune, les autres passagers, nous étions levés bien avant l'aube. Aucun café n'était ouvert à cette heure-là, pas plus que les boutiques, et nous commencions à nous énerver. « Personne ne peut embarquer pour le moment », expliqua une hôtesse. Nous étions donc là, entassés devant la porte grande ouverte comme le font souvent les passagers énervés, quand Skrillex et sa bande débarquèrent sur des foutus hoverboards et passèrent tranquillement devant nous avant d'embarquer dans l'avion comme si de rien n'était.

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J'ai eu envie de le buter pendant tout le trajet.

L' « air rage » - ou colère aérienne – est une forme de comportement violent à l'encontre des hôtesses de l'air ou des autres passagers qui inquiète sérieusement les équipages des avions.

Le nombre croissant de passagers énervés susceptibles de péter un plomb a inspiré une étude dont les résultats ont été publiés hier dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, consacrée à l'impact psychologique de la ségrégation socio-spatiale à l'intérieur des avions. D'après cette étude, la haine que vous ressentez à l'égard des passagers de la classe affaires est un symptôme classique, souvent à l'origine de grosses crises de nerfs. Psychologiquement, la seule présence de passagers de première classe suscite un énervement équivalent à un retard de 9 heures et 29 minutes.

Les cabines d'avion sont en quelque sorte des microcosmes reproduisant la stratification sociale. Les passagers de première classe n'ont pas seulement droit à un meilleur traitement, à de meilleurs repas ou à davantage de films ; ils occupent également, physiquement, un espace exclusif, dont sont chassés les passagers moins aisés. Les passagers de la classe éco n'ont eux droit qu'aux services les plus basiques et à des sièges inconfortables, ce qui d'ailleurs leur est bien rappelé lorsqu'ils doivent traverser la section de première classe avec ses sièges en cuir avant de gagner leur place.

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Au sein de la société, l'appartenance d'un individu à une certaine classe sociale a un impact sur sa santé, son bien-être, son humeur et son comportement. Comme le soulignent les auteurs de l'étude, on observe la même chose dans des environnements plus confinés, comme par exemple les avions, avec les mêmes conséquences indésirables.

« Je m'intéresse beaucoup aux inégalités et aux injustices. Les avions et les aéroports sont des espaces où la lutte des classes est particulièrement apparente », m'a expliqué Katherine DeCelles, auteur principal de l'étude et professeur de théorie des organisations à l'université de Toronto.

DeCelles et ses collègues ont étudié une base de données comportant des millions de comptes-rendus de vols domestiques et internationaux récupérée auprès d'une grande compagnie aérienne. Les variables analysées par l'équipe sont les incidents (altercations, crises de nerfs, attaques de panique…), la classe des passagers, les retards, et la distance parcourue.

À bord d'un avion, les inégalités se manifestent sous deux formes différentes : physiques et « situationnelles ». Les inégalités physiques portent sur le placement différencié des passagers à l'intérieur de la cabine en fonction de leur classe. Les inégalités situationnelles, elles, viennent rappeler aux individus quel est leur statut : c'est par exemple ce qui arrive aux passagers de la classe éco lorsqu'ils doivent traverser toute la section affaires pour atteindre leurs places.

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Les chercheurs ont aussi découverts que les incidents en classe éco étaient 5 fois plus courants dans les avions comportant également une classe affaires.

Les passagers les moins fortunés ont ainsi tendance à être plus sujets à des crises de nerfs dans cette situation ; mais ils ne sont pas les seuls, puisque ceux de la première classe ont eux aussi tendance à se montrer plus énervés, voire violents, lorsque l'avion est ségrégé.

Quand l'embarquement se fait par l'avant de l'avion, les inégalités se font davantage ressentir. Lorsque les gens de la classe éco doivent passer au milieu de ceux de la classe affaires pendant l'embarquement, les incidents sont beaucoup plus nombreux que lorsque l'embarquement se fait (aussi) par le centre de l'avion. Fait remarquable : les incidents sont multipliés par 3 en classe éco, mais carrément par 12 en classe affaires, signe que les plus privilégiés rechignent clairement à se frotter à la populace.

Selon DeCelles, les membres des classes supérieures font souvent preuve de mépris envers les moins privilégiés quand une situation donnée leur rappelle leur statut d'élites, ce dont témoigne leur comportement égoïste et souvent déplorable. Elle pense que cela explique leur changement d'attitude lorsqu'ils sont obligés de cohabiter avec les passagers de la classe éco.

De toute évidence, la lutte des classes fait également rage dans le ciel, et quiconque a déjà voyagé en classe éco le sait très bien. Mais l'étude donne aussi quelques pistes aux compagnies aériennes pour limiter les frictions entre différents groupes de passagers.

« Des solutions existent, et les compagnies expérimentent déjà de nouvelles manières d'embarquer, avec deux portes distinctes par exemple, explique DeCelles. Mais des choses aussi simples que des rideaux séparateurs, des toilettes différentes, et même l'odeur des cookies servis en première classe peuvent constituer autant de rappels des inégalités fondamentales pour les passagers les moins fortunés. »

Alors que les sièges ne cessent de rétrécir et les prix des vols d'augmenter, l' « air rage » a sans doute un bel avenir. Nous allons certainement devoir trouver des moyens d'affronter l'injustice aérienne. On pourrait déjà commencer par garder à l'esprit que le simple fait de voyager est un luxe, un véritable privilège. Et puis de toute façon, même si les sièges sont plus confortables en première, le wi-fi de l'avion reste merdique pour tout le monde.