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Sports

Les ultras sont en première ligne dans la guerre en Ukraine

On a longuement discuté avec Olga Ruzhelnyk qui réalise une thèse sur la question à l'université de Nanterre, alors que la guerre du Donbass entre l'armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes perdure.

Olga Ruzhelnyk. Photo Footballski

Avant Maidan, de plus en plus de restrictions sur les rassemblements publics étaient en place. Beaucoup de pouvoir était donné au gouvernement, à la police, pour contrôler les gens. Bien sûr, c'était un outrage pour les ultras parce qu'ils détestent se sentir contrôlés, particulièrement par la police, quand ils se rassemblent. Donc c'était vraiment l'élément déclencheur pour qu'ils se rassemblent tous. C'était la même chose pour les ultras de Crimée, ils ne se battaient pas au départ pour défendre l'identité ukrainienne mais pour leurs libertés. Puis, la situation a dégénéré, les troupes étrangères sont arrivées, et là bien sûr ils se sont positionnés contre ces troupes qui venaient et qui voulaient elles aussi les contrôler. Particulièrement venant de la Russie qui est un Etat plus totalitaire comparé à l'Ukraine. Il y a plus de possibilités de contrôle, sur la liberté d'expression, de rassemblement… Les ultras détestent ça. La même chose s'est produite avec les ultras du Shakthar et du Zarya, ils étaient au début de Maidan alors qu'il n'y avait pas encore la guerre, parce que le régime de Ianoukovitch représentait la répression, la restriction des libertés, l'abus de pouvoir de la police. Un des fans du Shakthar m'a dit clairement par exemple « Maintenant je ne suis plus de Donetsk, plus du Shakthar, pas de Louhansk, je suis ukrainien ».

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Le support à l'équipe nationale ukrainienne a-t-il évolué également, avec Maidan, la guerre dans le Donbass, le problème de la Crimée ?
Bien sûr. Ce qui s'est passé à Maidan, et encore aujourd'hui sur le front, cela participe à ce qu'on appelle en sociologie la "mémoire collective". Dans les stades, vous utilisez des chants, des banderoles, bien sûr. Aujourd'hui, Maïdan et le sujet de la guerre sont particulièrement utilisés, tout comme la figure de Poutine. Maintenant, ce n'est plus uniquement "Go Ukraine go" mais plutôt "Fuck Poutine fuck". Quand j'étais à l'Euro 2016 à Lille, j'ai compté trois des slogans offensants envers Poutine, et quatre l'hymne national. C'était très patriotique, bien plus qu'avant et ça a changé. Mais l'équipe nationale est beaucoup moins supportée par les ultras. C'est un héritage de l'indépendance. De 1991 à 2000, l'équipe nationale était un copier-coller du Dynamo Kiev. Après ,il y a eu des éléments nouveaux, des joueurs du Shakthar par exemple. Aujourd'hui, les choses ont changé, les fans de football représentent la fibre patriotique de la nation.

Comment se manifeste cette fibre patriotique en Ukraine ? Par des symboles historiques ?
Oui, Stepan Bandera par exemple. Il y a aussi l'expression "Heaven 100". Bandera est l'expression du nationalisme ukrainien, c'est un parfait exemple d'utilisation de la mémoire collective d'une nation. Le drapeau rouge et noir représentant l'armée ukrainienne et l'organisation de Bandera est aussi utilisée. Il était aussi utilisé à Maïdan, c'est une démonstration extrême de patriotisme, mais pas de nationalisme. Dans ce genre de période, il y a une volonté de maintenir l'unité avec des symboles extrêmes. Et maintenant avec Maïdan, il y a utilisation d'autres symboles.

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Heaven 100 faisant référence aux personnes mortes durant Maïdan, très utilisé aujourd'hui dans les stades. Il faut savoir qu'en Ukraine, nous n'avons pas une identité nationale si forte, si ancienne. Parce qu'avant cela c'était l'identité soviétique qui dominait tout. Puis, depuis 25 ans, peu de choses se sont passées pour créer cette identité collective, expliquer ce que c'est que d'être ukrainien. On sait que ça prend longtemps, en France par exemple ça a pris 200 ans pour construire une vraie identité française. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans un processus de décommunisation, en changeant les noms soviétiques des rues pour des noms ukrainiens par exemple. Mais si les noms sont remplacés, la signification que l'on met derrière n'est pas encore là. Et aujourd'hui, qui est en train de recréer cette identité ? Les ultras.

Quelle est l'image des ultras aujourd'hui en Ukraine ?
Aujourd'hui, ils ont très bonne image dans la population. Parce que tout le monde sait qu'ils étaient là à Maidan. Si vous regardez sur les photos des fans, notamment les marches collectives entre différentes groupes d'ultras, ils marchent dans les rues escortés par des policiers, et les policiers les saluent ! C'est incroyable de voir que tout le monde les félicite pour leur engagement. C'est une utilisation de la mémoire collective, ils sont en train de montrer aux gens ce que ça signifie d'être patriote. Ils utilisent également le patrimoine ukrainien, la langue ukrainienne. Dans une ville comme Kharkiv, où l'influence russe était très forte même avant la guerre, ils chantaient au stade en ukrainien, et aujourd'hui encore plus. Donc ils sont vraiment un des acteurs de la construction de l'identité nationale, au même titre que les écrivains ou d'autres artistes.

Est-ce que le président du Shakthar par exemple, ou d'autres instances, se sont positionnés sur le sujet de la guerre ?
Aujourd'hui, le Shakthar est la propriété de l'oligarque Akhmedov, il a 99,99%, c'est un monopole comme très souvent en Ukraine. Mais non, pas grand monde n'a parlé de ça. La fédération durant Maidan a dit « S'ils veulent y aller qu'ils y aillent, mais sans signe d'attachement à un club en particulier. » Même si bien sûr, ils y sont allés avec des insignes et des écharpes, on parle d'ultras quand même. A ce moment-là, la révolution était contre le pouvoir en place, contre le gouvernement, donc les clubs ne voulaient pas s'y impliquer, ils avaient trop à perdre. Maintenant, c'est surtout la situation économique très fragile qui pousse les clubs à se concentrer uniquement sur leur business, ils ne s'occupent pas des ultras. Ils s'occupent des supporters car eux font tourner le business, contrairement aux ultras. « Ils vont au front ? Eh bien qu'ils aillent au front. » D'autre part, si on regarde le Shakthar par exemple, beaucoup de joueurs sont Brésiliens, je ne pense pas qu'ils s'embarrassent trop des problèmes d'identité ukrainienne.

Est-ce qu'à l'inverse des politiques ont cherché à s'associer aux ultras ?
Avant Maïdan même, des contacts étaient en place avec Dmitri Yaroch, un responsable de Pravyi Sector, le parti d'extrême droite, qui a joué un rôle également dans Maïdan. Ce qui s'est passé durant la révolution, c'est comme ce qui est arrivé en Egypte, vous avez une grande masse de gens qui sont là pour protester, pour être présent tout simplement, et autour vous avez des groupes qui s'organisent pour donner de la nourriture, assurer l'hébergement, et donc aussi la sécurité. Pravyi Sector s'occupait de la sécurité, et ils voulaient s'associer aux ultras pour bénéficier de leur bonne image. Mais les ultras n'ont jamais souhaité faire partie d'un parti politique, donc ils ne souhaitaient pas du tout s'associer avec eux. Quand j'ai demandé aux ultras ce qu'ils pensaient du fait de s'engager en politique, ils étaient très sarcastiques sur la situation. Ils souhaitent être dans l'action, amener des changements dans la situation du pays. Mais ils souhaitent aussi, une fois leur but atteint, pouvoir revenir à leur vie normale. Ils n'ont pas lancé la révolution, ils ont participé à cette révolution, c'est différent.

Pour conclure, ces personnes auront bientôt passé 3, 4 ans au front. Penses-tu qu'ils pourront vraiment rentrer chez eux et reprendre leur vie normale ? Ils sont habitués au combat, est-ce qu'ils ne rechercheraient pas encore plus cela en revenant à leur vie de supporters ?
Ils n'ont jamais non plus été très soft comme supporters. En Ukraine, il n'existe pas cette classification qui existe ailleurs en Europe de l'Est entre ultras et hooligans. Nous avons des « ultras », parfois un peu hardcore, qui aiment se battre entre eux, avec des règles, 100 contre 100 dans un lieu défini. Mais nous n'avons pas non plus le cas de hooligans pur et dur comme en Pologne ou en Russie. Il y a des influences bien sûr, mais pas vraiment toutes ces sous-cultures qui cherchent l'affrontement à tout prix. Pour ma part, je pense qu'ils reprendront simplement leurs habitudes, c'est-à-dire se battre entre eux, parce que l'opposition est la nature du supporterisme. Quand la menace extérieure du pays disparaîtra, on reviendra au niveau de 2009/2011. Ce qui va changer par contre, c'est la façon dont les gens les perçoivent. Ils sont perçus comme des héros aujourd'hui, et ça devrait perdurer longtemps, plusieurs générations, parce qu'ils auront fait partie de quelque chose de très important pour le pays, ils auront contribué à produire cette mémoire collective.