Property Sex Sarai Minx
Sarai Minx dans une scène de Property Sex. Avec l'aimable autorisation de Property Sex
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Le « Real Estate Porn » est un marché plus chaud que jamais

Comment le porno capitalise sur l'envie de « mater des gens qui baisent dans une baraque de rêve » et le fantasme de l'accession à la propriété.

Il existe un terme pour désigner les heures de torture passées sur Se Loger, à fantasmer sur des maisons que vous n’aurez jamais les moyens de vous offrir dans des quartiers très éloignés de votre fourchette d'imposition : le « Real Estate Porn » ou porno immobilier.

Cette pratique masturbatoire s'est popularisée ces dernières années, alors que la crise économique faisait rage et que de nombreuses personnes délaissaient (ne serait-ce que mentalement) leurs petits appartements de centre-ville pour se réfugier dans des maisons de campagne, le rêve de tous pendant la pandémie.

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Mais le porno immobilier, c’est aussi un genre pornographique bien réel, et il se trouve qu’il est extrêmement populaire. On y croise généralement deux types de scénarios ; celui où un locataire croise une personne doté d’un certain contrôle sur sa situation (propriétaire ou gérant d'immeuble) et profite de cette dynamique de pouvoir - le porno a toujours exploité les tabous du quotidien, et la tendance des propriétaires à toujours plus exploiter les locataires ne pouvait pas lui échapper.

L'autre script populaire implique un agent immobilier et un acheteur potentiel dans une négociation plus « subtile » des conditions et du rapport de force. L'arrière-plan de ces scènes ajoute un attrait supplémentaire : les tournages ont lieu dans de vraies maisons que la plupart des spectateurs n'auront jamais l'occasion d'acquérir, mais qui ne les fascinent pas moins pour autant.

« Il y avait tellement de niches à cette époque qui étaient déjà exploitées et pourtant, on ne trouvait rien qui ressemble de près ou de loin à ce que l’on propose » - Kalli, co-fondatrice de Property Sex

Compte tenu de la situation du marché de l'immobilier en ce moment - où il est presque impossible de devenir propriétaire sans un PEL bien garni ou un bel héritage - il est tentant de penser qu'il s'agit d'une nouvelle tendance. Pourtant, ce n’est pas le cas. Si le porno reflète et traite souvent du quotidien, certaines intrigues pornographiques sont simplement indémodables. 

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Dans Talk Dirty to Me, film X de 1980, une agent immobilier fait visiter une maison à un acheteur potentiel et commence à lui faire des propositions. « Touche ce tapis, Robert. Si sexy, si doux », dit la femme à l'homme marié. « C'est une bien belle moquette », répond l'acheteur interloqué. « Pourquoi ne pas signer ces papiers et en finir, pour qu'on puisse s'amuser un peu ? », poursuit-elle. (spoiler : ces manœuvres ne fonctionnent pas sur lui mais bien mieux sur un passant qui a assisté à la scène et qui la chope juste après le rateau). 

Dans 800 Fantasy Lane, sorti en 1979, une bande de mecs libidineux infiltrent une société immobilière d'Hollywood employant des agents sexy qui, en plus de faire visiter des manoirs hors de prix, se livrent sur place à toutes les dépravations.  

Le fantasme d’une femme sexy qui vous fait visiter une maison vide et hors de prix n’a rien de très original. Mais le thème de l’immobilier est une véritable mine d’or pour les réalisateurs, qu'il s'agisse de relations agents-acheteurs, propriétaires-locataires, ou encore entre colocs. Un studio de production, Property Sex, explore depuis ses débuts en 2016 toutes les combinaisons possibles et imaginables, s’érigeant en patron du genre.

L'une des fondatrices de Property Sex, qui se fait appeler Kalli, m'a raconté qu'elle et son partenaire travaillaient dans l'industrie du sexe depuis 17 ans lorsqu'elle a eu l'idée de lancer un site web dédié uniquement au fantasme entre agents immobiliers et clients.

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« On ne trouvait rien qui ressemble de près ou de loin à ce que l’on propose », m'a-t-elle dit. « Il y avait tellement de niches à cette époque qui étaient déjà exploitées. Et je me suis dit qu’un site web entièrement basé sur des agents immobiliers couchant avec leurs clients était un fantasme populaire qui méritait d’être exploité. Il y avait peut-être quelques scènes qui exploraient ce concept », ajoute-t-elle, « mais pas un studio entier centré sur cette idée ». « Je me suis dit que ce serait une bonne idée de lancer un site strictement consacré à cela : le client et l'agent immobilier, avec en plus quelques scènes entre propriétaires et locataires. »

« Je pense que si ça marche aussi bien, c’est parce que les hommes ont cette idée en tête lorsqu'ils rencontrent leur agent immobilier, évidemment, 99 % du temps, rien ne va se passer. »

Le site a immédiatement explosé, raconte Kalli. Il était dans le top 3 de ceux les plus recherchés sur Pornhub et ne l’a pas quitté depuis - devenant entretemps une chaîne partenaire du géant du porno avec près de deux milliards de vidéos vues et 1,8 million d'abonnés.

Selon Kalli, ce qui rend ce genre populaire, c'est son caractère inaccessible dans la vie réelle. « Je pense que si ça marche aussi bien, c’est parce que les hommes ont cette idée en tête lorsqu'ils rencontrent leur agent immobilier sexy, mais évidemment, 99 % du temps, rien ne va se passer », dit-elle. « C'est la même chose que l'intrigue [porno] typique, du plombier qui vient réparer les tuyaux d’une femme esseulée... » 

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« Nous les mecs, on se fait des films dans notre tête, me confie Tony Rubino, l'un des acteurs de Property Sex. Peut-être que la serveuse serait intéressée si on flirtait avec elle. Peut-être, juste peut-être, qu’on pourrait se taper l'agent immobilier si on tentait notre chance. « C'est un gros fantasme », dit-il.

Aubree Valentine dans une scène pour Property Sex. Image avec l'aimable autorisation de Property Sex

Aubree Valentine dans une scène pour Property Sex. Image avec l'aimable autorisation de Property Sex

« L'agent immobilier est presque une légende dans la culture pop et plus généralement aux États-Unis : c'est souvent une femme sexy, parfois plus âgée (type cougar), et toujours très apprêtée », me dit Laura Helen Marks, spécialiste du porno et autrice de Alice in Pornoland.

« Quand je suis arrivée aux États-Unis, j'étais à la fois surprise et fascinée par les panneaux d'affichage des agents immobiliers ici - des visages photoshopés de femmes aux cheveux longs maquillées à l'extrême. C'était presque comme si la femme elle-même était un argument de vente. Le processus, lui aussi, repose sur un haut degré de performance et sur le fait d'amener le client à vous apprécier. »

« Ces rôles placent souvent les femmes dans des positions de pouvoir. La complexité réside dans cette délicate dynamique du donnant-donnant » - Laura Helen Marks, autrice

La relation entre l'agente et l'acheteur potentiel offre une tension agréable jouant de l’aspect séduction qui va souvent de pair avec ces rôles. Aucun des deux n'exerce de pouvoir sur l'autre ; ils ont besoin l'un de l'autre, avec l'attrait supplémentaire du rôle de la femme qui est généralement plus autoritaire. « Ces rôles placent souvent les femmes dans des positions de pouvoir », explique Marks. « La complexité réside dans cette délicate dynamique du donnant-donnant : le vendeur a besoin de l’acheteur pour conclure la vente, mais l'acheteur a aussi besoin des conseils du vendeur, qui détient les clés de la maison de ses rêves. »

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Les scènes de Property Sex tendent elles-mêmes vers un style de tournage plus amateur, de type plan subjectif. Dans le cas des scènes entre acheteur et agente, on a souvent l'impression que l'acheteur s'est glissé dans la visite avec une caméra ou qu'il filme tout sous prétexte de documenter sa visite - qui devient inévitablement plus intéressante. « On est dans un style réaliste, vous savez, comme si quelqu'un filmait avec une caméra à petit budget ou autre », explique Kalli. 

Dans les scènes entre propriétaires et locataires, contrairement à la relation plus égalitaire entre agents et clients, la question de savoir qui contrôle la situation est plus évidente. « La dynamique du pouvoir semble beaucoup plus directe dans le sens où le propriétaire a le contrôle et la locataire est plutôt impuissante et dépendante », explique Marks. « Bien sûr, ce n'est pas vraiment le cas - la locataire paie l'hypothèque du propriétaire, après tout - mais la façon dont ça se joue dans la vraie vie place le propriétaire en position de force. » 

De nombreux genres pornographiques prospèrent sur cette dynamique. Le porno policier est l'un d'entre eux ; le porno casting canapé en est un autre. Et comme pour chacun de ces genres, les scénarios que le porno exploite seraient inadmissibles hors scène : récemment, une locataire a poursuivi son propriétaire pour avoir essayé d'inclure dans son bail une clause qui l'obligerait à coucher avec le gérant de la propriété.

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Un créateur de contenu sur Instagram, Marco D'Alessandro, renverse les rôles de ce scénario dans un passage récurrent où il appelle constamment sa « propriétaire », une jeune femme séduisante, pour réparer son appartement et en profite pour flirter.

Mais la plupart des pornos mettant en scène des propriétaires jouent sur une lutte de pouvoir typique. 

« Dans la vraie vie, le locataire va se sentir impuissant (il n’est pas propriétaire de son logement, son propriétaire a une clé et peut entrer quand il le souhaite. C’est lui qui rédige le contrat et fixe le prix, le propriétaire a le dessus dans un monde où le logement est en crise, le propriétaire enfreint régulièrement la loi sans réelles conséquences.) et c’est cela qui se reflète dans le porno », explique Marks.   

Pour les spectateurs, le voyeurisme que procure ce genre de porno repose sur différents niveaux : il y a le fantasme de la séduction, mais aussi la fascination pour le décor. Les amateurs de porno passent des heures à regarder des films et à prêter attention à l’arrière-plan en essayant de trouver où le film a été tourné. The Rialto Report, un podcast qui traite de l'âge d'or du porno, propose une série consacrée aux lieux et aux maisons de tournage célèbres.

Les fans de porno ont longtemps recherché les décors des scènes de sexe de la même manière que certains d'entre nous parcourent Se Loger ou PAP et zooment sur chaque détail d'une annonce. On sait tous qu'on n'aura jamais cette maison, et c'est ce qui rend la chose encore plus érotique.

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Se masturber mentalement sur une villa à un million d’euros par pur réflexe de procrastination, ça a du bon et du mauvais. Un peu comme quand on gratte une croûte. Quand on se branle littéralement sur des gens qui baisent dans une villa de luxe, la toile de fond ajoute au caractère inaccessible : un beau canapé blanc, un coussin jeté juste comme il faut, une balustrade surplombant Los Angeles ou Madrid, à la frontière entre exhibitionnisme et isolement, tout cela sert de toile de fond au fantasme sexuel qui se déroule au premier plan. 

« Il est intéressant de noter qu'une fois que le porno s’est débarrassé de la narration traditionnelle et s'est lancé dans le gonzo, l'intérêt pour l'immobilier s’est intensifié », explique Marks. « Je pense qu'une partie de cet intérêt réside dans une forme de curiosité à l’égard du propriétaire ». En d'autres termes, qui est le chanceux, le fou ou le pervers qui loue sa maison pour y tourner un porno ? Que disent les voisins ? Comment font-ils pour nettoyer ce canapé blanc ? 

« Je ne peux tout simplement pas préparer le dîner de famille sur des comptoirs où est passée une star du porno », un acheteur anonyme

Ces questions croustillantes ont également valu à des cinéastes des ennuis dans la vraie vie : en 2018, quelqu'un a renoncé à faire une offre sur un manoir de plusieurs millions de dollars dans la Paradise Valley en Arizona (coin connu pour sa scène pornographique trépidante) lorsqu'il a découvert qu’un film X y avait été tourné. « Je ne peux tout simplement pas préparer le dîner de famille sur des comptoirs où est passée une star du porno », a déclaré l'acheteur épouvanté au média AZ Central. Toujours en 2018, une femme a poursuivi un producteur, affirmant qu'il avait tourné au moins 24 films pornographiques dans sa maison de location, sans son consentement. 

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Les contraintes dans la recherche d’un lieu de tournage ne sont pas nouvelles pour les producteurs. Il y a des années, Airbnb était une des options privilégiées pour trouver des locations adéquates - une pratique beaucoup moins courante aujourd'hui. Les travailleurs du sexe affirment d’ailleurs depuis des années que la plateforme fait preuve de discrimination à leur égard, même quand la location n’est pas réalisée pour un tournage.

En 2012, le comté de Los Angeles a promulgué de nouvelles lois à l'intention des réalisateurs de films pour adultes, exigeant l'utilisation de préservatifs dans toutes les scènes de pénétration, ainsi que des permis et des frais élevés pour les artistes ; les producteurs ont alors quitté la ville pour les comtés voisins, qui exigent des permis moins coûteux.

« Lorsque l’on force l'industrie à quitter une infrastructure bien équipée comme la Vallée, qui dispose non seulement de studios d'enregistrement traditionnels, mais aussi d’un grand nombre de maisons facile à louer, où le tournage pour adultes est autorisé et encouragé, et qu’on la pousse vers la périphérie, et vers des zones et des lieux où les gens ne savent pas qu'un film X est tourné, on fait basculer cette industrie dans la clandestinité », avait déclaré un porte-parole de la Free Speech Coalition en 2016, après qu'un producteur a été surpris en train de filmer dans un Airbnb. « Chaque fois que vous poussez les travailleurs du sexe dans l'ombre, vous rendez leurs conditions de travail plus dangereuses. » 

Parallèlement, d'autres propriétaires louent volontiers leur maison à des studios pornographiques pour des tournages, de la même manière que les productions hollywoodiennes classiques louent des résidences privées. Ces locations peuvent représenter des milliers de dollars par jour - pas mal pour le simple fait de quitter sa maison pour la journée.

Même si le porno immobilier est un genre traditionnel de l'âge d'or de l'industrie du porno, sa popularité de longue date en dit long sur la façon dont nous considérons l'ensemble du processus de l’accès à la propriété. « Je pense qu'il est parfaitement logique que ce thème devienne plus visible aujourd’hui, compte tenu des changements sur le marché dus au Covid et aux locations à court terme », confie Marks. « Je sais que j'ai moi-même passé beaucoup de temps pendant le confinement à parcourir les annonces immobilières. Pourtant, ce thème reste toujours d'actualité, et ce, en raison de cette fameuse dynamique du pouvoir. »

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