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Charlie Hebdo

On a lu le livre posthume de Charb sur l’islamophobie

Le dessinateur et ancien directeur de Charlie Hebdo, avait terminé deux jours avant son assassinat un livre pour répondre aux accusations d’islamophobie à l’encontre de son journal. Il vient de sortir.
VICE News / Etienne Rouillon

Le 7 janvier dernier, une partie de la rédaction de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo est abattue par deux hommes armés. Le directeur du journal et dessinateur Stéphane Charbonnier, alias Charb, fait partie des victimes. Deux jours avant sa mort, il a terminé un livre, Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes, qui est paru ce jeudi aux éditions Les Échappées. L'ouvrage de 80 pages denses, alterne passages sérieux, ironie et raisonnements par l'absurde, autour du concept d'islamophobie.

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Dans ce livre, Charb répond aux critiques qui l'accusent, lui et Charlie Hebdo, d'islamophobie ou de racisme. Il critique le concept d'islamophobie et se défend d'insulter les musulmans en critiquant l'islam. Comme l'indique le titre de son livre, il estime que c'est la promotion même du concept d'islamophobie qui laisse le champ libre au racisme. Le texte se veut une lettre destinée entre autres à ceux qui, selon Charb, font l'amalgame entre citoyen musulman et représentant de l'islam, ou citoyen musulman et Arabe.

Dans les grandes lignes, la thèse de Charb est la suivante : les critiques de l'islamophobie estiment que dans le cas d'une atteinte à une personne, par exemple une femme voilée qui se fait insulter dans la rue, c'est l'islam avant la personne qui est attaquée. Pour Charb c'est l'inverse qui devrait prévaloir car selon lui les actes qualifiés d'« islamophobes » , notamment par la presse, sont avant tout des actes racistes et il faut concentrer leur condamnation sur ce plan.

Dans la première partie du livre, « Le racisme ringardisé par l'islamophobie », Charb estime que « Le terme 'islamophobie' est mal choisi s'il doit nommer la haine que certains tarés ont des musulmans ». Après avoir dénoncé la parole raciste, qu'il estime « largement libérée par Nicolas Sarkozy », Charb critique « Les militants communautaristes qui essaient d'imposer aux autorités judiciaires et policières la notion d''islamophobie' » et qui « n'ont pas d'autre but que de pousser les victimes de racisme à s'affirmer musulmanes. » Le directeur de Charlie Hebdo estime que le concept d'islamophobie consiste avant tout à pointer la religion — l'islam en l'occurrence — des victimes de discriminations sociales et raciales.

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Mouloud, Gérard et le livre de cuisine

Les racistes, écrit Charb, « sont d'abord racistes et, à travers l'islam, c'est bien l'étranger ou la personne d'origine étrangère qu'ils visent. » Comme souvent dans l'ouvrage, Charb illustre sa pensée avec des images fortes, en convoquant l'exemple des imaginaires « Mouloud et Gérard » qui cherchent un appartement. Ce sont deux musulmans, mais Mouloud est d'origine maghrébine et Gérard d'origine européenne. Charb explique que c'est Gérard qui aura le plus vraisemblablement l'appartement parce que « Ce n'est pas au musulman que la location sera refusée, c'est à l'Arabe. » Même démonstration avec un « Mouloud qui habite à Neuilly-sur-Seine », quartier très chic et un « Mouloud qui vit à Argenteuil », quartier beaucoup moins riche, pour illustrer le primat de la discrimination sociale, raciale ou géographique sur la discrimination religieuse.

Charb se livre ensuite à une critique de la religion, dans un registre plus ironique, en considérant que la foi, en tant que « peur de Dieu » ferait des croyants ou pratiquants des « théophobes ». Il estime qu'avoir peur d'une religion est un droit que ne manquent pas d'appliquer les croyants de toutes les religions, effrayés par la « concurrence » des autres cultes ou de l'enfer.

Les textes sacrés, que Charb considère comme des « romans soporifiques », ne sont « sacrés que pour ceux qui y croient ». Tout en imaginant ce qui se passerait si l'on considérait un livre de cuisine ou un roman de Stephen King comme sacré, il précise qu'une religion est un « courant de pensée », comme le communisme, et que la notion de blasphème ne s'applique pas.

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Les pages suivantes ciblent ceux qui, selon Charb, sont responsables des amalgames entre racisme et islamophobie : les médias, les militants communautaristes et les politiques. Tous « voient des musulmans là où il faut voir des citoyens » et ont un intérêt — économique, politique ou électoral — à le faire. Pour Charb, ils « infantilisent les musulmans » en les considérant d'abord comme tels avant de voir des citoyens.

L'argument du « vieux pédophile »

Le directeur de Charlie revient dans d'autres parties du texte sur les polémiques qui ont directement touché son hebdomadaire. « Si la télé décide que c'est une provocation, il y a toujours une bande d'abrutis pour s'estimer provoqués », dit-il à propos des dessins de Charlie Hebdo représentant le prophète Mahomet, des terroristes islamistes ou des musulmans, et qui ont créé des polémiques ces dernières années, notamment à la suite de la publication, en 2005, des caricatures du journal danois Jyllands-Posten.

Au moment où Charb écrit ce texte, Charlie Hebdo est critiqué par divers bords qui lui reprochent le fait que les positions anti-islamistes de l'hebdomadaire favoriseraient l'islamophobie ou le racisme. Dans un article paru sur Article 11 en décembre 2013, l'ancien collaborateur de Charlie Hebdo Olivier Cyran détaillait des critiques en ce sens envers l'hebdomadaire. Charb avait déjà répondu sur ce point dans une tribune publiée dans Le Monde. Il répond à nouveau dans cet ouvrage posthume. Une fois encore à renfort d'exemple : « Lorsqu'on dessine un vieux qui commet un acte pédophile, on ne jette pas l'opprobre sur tous les vieux ».

Charb exprime de manière plus grave ses craintes envers « l'autocensure », en évoquant l'annulation de l'exposition de l'artiste marocain Mounir Fatmi, à Toulouse en 2012 (une de ses oeuvres présentant des versets du Coran avait été jugée blasphématoire) et critique violemment l'idée de blasphème, même le « blasphème antirépublicain », qu'il estime incarné par le récent délit de « dégradation ou d'utilisation indécente du drapeau français, dans un lieu public ou ouvert au public ».

Dans sa lettre ouverte, Charb s'inquiète de voir une union des défenseurs de l'idée de blasphème chez les catholiques et musulmans, notamment lors de la controverse liée à la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Romeo Castellucci, en 2011.

La publication de l'ouvrage de Charb, qualifié de « testament » par L'Obs qui en publie les bonnes feuilles, a provoqué plusieurs réactions et éditoriaux. Daniel Schneidermann estime, sur Rue 89, que ce « testament » n'est « pas une notice Ikea », en référence au passage du livre où Charb écrit : « Le problème, ce n'est ni le Coran, ni la Bible, romans soporifiques incohérents et mal écrits, mais le fidèle qui lit le Coran ou la Bible comme la notice de montage d'une étagère Ikea. » D'autres, comme Slate, saluent cette publication comme une « énième mise au point publique destinée à désarmer les esprits en surchauffe ».

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