À quoi ressembleront les musées du futur ?
Toutes les illustrations sont de Stanislas Swiderski.

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Culture

À quoi ressembleront les musées du futur ?

On a demandé à la muséographe Jessica de Bideran comment seront les expos de demain.

Peu de choses, à part une discussion sur les serre-têtes avec votre cousine Marie-Germaine, suintent autant l'ennui que la visite d'un musée. À moins, bien sûr, qu'en plus de sacrifier une journée lascive, vous sachiez composer avec des œuvres d'art inexplicables, un public vieillissant et d'éventuelles visites scolaires catastrophiques. Du calme, je n'ai rien contre les œuvres d'art, simplement je ne supporte pas la manière dont elles sont présentées au public. Pourquoi ? Car les musées sont réservés à une caste érudite et friquée. Chaque année, moins d'un français sur quatre pousse la porte d'un musée. Le chiffre monte à 72 quand on s'intéresse uniquement à ceux qui ont au moins un bac + 3… soit cinq fois plus que les personnes n'ayant aucun diplôme. L'argent compte aussi : à même niveau socio-culturel, les riches font deux fois plus de visites que les pauvres.

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Rien de nouveau sous le soleil et les pouvoirs publics l'ont bien compris. Ils s'escriment depuis des années à résoudre le problème. C'est raté : si la fréquentation des musées n'a pas diminué ces dernières années, son public n'a pas non plus beaucoup évolué. La faute, entre autres, aux systèmes de médiations. Ou à leur absence, plutôt. Efficace, ils sont trop peu nombreux. Du coup, une bonne partie de la population se retrouve larguée quand il s'agit de se frotter à notre patrimoine culturel national. Moi-même, pourtant dans la cible — journalope et bobo, coup double —, n'y mettrais les pieds pour rien au monde tant j'ai peur d'y perdre toute vitalité.

Tout serait donc perdu ? Pas sûr. Pour beaucoup, le changement viendra avec le numérique. Les nouvelles technologies donnent déjà de belles choses. 445 applications mobiles muséales ont été lancées depuis 2009. Beaucoup sont de simples portails mais de plus en plus permettent aux usagers d'avoir accès à plus d'informations lors de leurs visites ou de la personnaliser. Certaines technologies offrent aussi des possibilités nouvelles. Le Grand Palais a, par exemple, accueilli « Sites éternels », une exposition permettant de découvrir des lieux patrimoniaux emblématiques, situés en zone de conflit et donc logiquement inaccessibles, en s'appuyant sur des dispositifs 3D.

Si ces nouvelles muséographies envahissaient les 3 000 — certains disent 10 000 — musées français, j'en deviendrais probablement un fervent adepte. Tout comme, d'ailleurs, une bonne partie de ma génération. Reste que ces innovations semblent tout à faire marginales. Histoire d'y voir plus clair, j'ai décidé d'interviewer Jessica de Bideran, ingénieure de recherche à l'université de Bordeaux et membre de deux programmes de recherche, « Mauriac en Ligne » et « MédiaNum », en espérant comprendre l'impact de ces nouvelles muséographies.

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Creators : Bonjour Jessica. On lit partout que les musées sont des endroits ennuyeux. C'est vrai ?
Jessica de Bideran : On trouve toujours les mêmes titres, les mêmes rengaines : le numérique fait revivre le patrimoine. Mais les musées ne sont pas des lieux ennuyeux. Ils ont des publics, ils ne sont pas poussiéreux. Tous les espaces culturels utilisent le numérique, de manière plus globale que pour attirer de nouveaux publics ou renouveler les musées. Il faut avoir un regard nouveau et déconstruire l'idée qu'il existe une opposition entre les muséographies classiques et numériques.

Mais beaucoup de musées proposent toujours des muséographies un peu old-school ?
Les musées, de façon assez générale, restent des lieux hors du temps. En entrant, on s'extrait du monde. Reste que depuis le début des années 80, les musées mettent en place des médiations nouvelles, pas forcément numériques, qui permettent d'ouvrir les lieux patrimoniaux. Certains musées croisent d'ailleurs des muséographies un peu plus anciennes et d'autres nouvelles. En visitant le musée d'Aquitaine, à Bordeaux, c'est frappant ! Au rez-de-chaussée, on a une muséographie des objets, qui date des années 1970-1980, principalement tournée vers les pièces présentées et leurs histoires. Quand on monte à l'étage, pour les salles les plus récentes, il y a au contraire énormément de multimédias, de numérique. C'est une nouvelle muséologie, celle des idées, où on immerge le visiteur dans une forme de discours où les objets viennent simplement illustrer une narration.

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Les outils numériques n'inventent rien mais rendent plus accessibles des pratiques de médiations déjà existantes.

Difficile, en fait, de parler de tendances nouvelles. L'interactivité existait avant mais elle se décuple avec les nouvelles technologies car elle permet de lier des objets et leurs histoires entre elles. La grande nouveauté, c'est de construire sur le temps. L'avant, le pendant, et l'après. Cap Sciences, à Bordeaux, développe des compagnons de visites permettant d'anticiper et de continuer l'expérience muséale. Le visiteur prépare en avance son parcours. Pendant la visite, l'outil enregistre aussi des données pour permettre de revivre ce moment, a posteriori . Le Louvre propose le même genre de choses avec son application, qui permet aux visiteurs de renseigner ses préférences pour concevoir un parcours de visite optimal.

Comme un guide, qui nous baladerait dans les allées du musée en fonction de nos préférences ?
Exactement. Les outils numériques n'inventent rien mais rendent plus accessibles des pratiques de médiations déjà existantes.

Certaines technologies vont-elles changer notre rapport à l'art  ?
La réalité augmentée, c'est le gros truc dont on n'arrête pas de parler. La Conciergerie a lancé, il y a peu, l'HistoPad. Il permet une visite immersive du lieu : les visiteurs reviennent dans le temps et découvrent ce qu'a pu être la Conciergerie.

Ces innovations ludiques, c'est une solution pour ouvrir les musées à de nouvelles personnes ?
C'est possible sous certaines conditions. L'outil ne s'active pas tout seul. Il faut un facteur humain pour attirer les publics. On se rend cependant compte que l'on trouve un public plus jeune quand on utilise des outils innovants. Ça peut être une façon d'attraper certains publics. Mais le risque, pour tous les sites patrimoniaux, c'est d'exclure certaines personnes. Les seniors, qui sont un public fidèle, n'ont pas toujours les compétences ou le matériel pour avoir accès aux nouveaux outils numériques. Tout le monde n'a pas un smartphone dernier cri.

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Il faut se poser les bonnes questions : pourquoi, pour qui, pour faire passer quel message.

C'est donc la seule raison ?
Bien sûr que non. Le budget demeure la contrainte la plus importante. Certaines structures ont énormément d'argent mais la plupart des sites patrimoniaux publics n'ont pas forcément les moyens.

Les mentalités ne sont-elles pas un frein ?
Les staffs des musées ont évolué et sont dans leur immense majorité pro-numérique. Il existe par contre des limites technologiques. D'abord, il faut anticiper les problèmes techniques, les coûts de maintenance élevés et une technologie qui évolue en permanence. On est tous arrivés dans un musée où un multimédia ne marche pas. L'autre contrainte, c'est l'anticipation de la durée de vie du numérique. Avant, une muséographie, c'était fait pour dix ans. Maintenant, ça évolue en permanence. Il faut se poser les bonnes questions : pourquoi, pour qui, pour faire passer quel message.

En clair : à moins que les institutions muséales deviennent subitement riches, ce n'est pas demain que je remettrai les pieds dans un musée.

Clément Pouré n'est pas au musée mais sur Twitter.