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Acheter des œuvres d’art, dès le collège

Alors que pour nous le collège ne fut qu'une longue succession de peines et d'humiliations, Les Nouveaux Collectionneurs apprennent aux plus jeunes à investir dans l'art contemporain.
Visite des ateliers Lorette à Marseille avec les élèves. 

Je me souviens des activités proposées au collège comme d’un semi-cauchemar. Construire un circuit électrique qui marchait une fois sur deux et terminait au mieux dans un tiroir. Faire de la varappe à Fontainebleau et se faire humilier suspendue à un baudrier devant la classe entière. Regarder éclore les pores sous des feuilles récupérées sur un tas d’humus. Merci bien. À la place, si on visitait des galeries ? Mieux, si on rencontrait des artistes ? Et encore plus insensé, si on achetait des œuvres d’art pour la collectivité ? C’est le programme des Nouveaux Collectionneurs. Présentation d’un projet hors norme qui a trouvé son modèle. Et mériterait d’être largement étendu.

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Les Nouveaux Collectionneurs sont nés en 2008 « sous l’impulsion du Conseil Départemental des Bouches du Rhône. Et plus précisément dans le cadre de Marseille Provence 2013, Capitale culturelle », introduit Yannick Gonzalez directeur de Nouvelles Donnes Productions, l’association qui gère pour le Département le projet dont nous parlons ici. Le but est simple : attribuer à deux collèges une enveloppe de 10 000 euros chacun pour acquérir des œuvres d’art. Comment dès lors procéder ?  « Nous travaillons sur deux années, explique Yannick, avec dans un premier temps, en classe de 4ème, une année de sensibilisation, faite de rencontres dans les ateliers d’artistes, de visites dans des galeries, ainsi que des cours dispensés sur les grands courants artistiques. Puis, vient la deuxième année, tournée, elle, sur l'acquisition des œuvres ». La même classe mais cette fois-ci en 3ème bénéficie alors de tous les outils pour se mettre dans la peau d’un collectionneur et acheter au nom de la collectivité. Depuis 2008, le processus est huilé, bien rodé.

Pascal Navarro, Arc de Triomphe de Palmyre, 2015. 45 x 60 cm

Une centaine d'œuvres a déjà été acquise. Vingt collèges ont déjà été concernés et pas forcément les plus faciles (même s’il est important de préciser que cette action culturelle est destinée à tous types de collèges, sans l’ombre d’une discrimination positive). Loin d’eux l’affirmation action, donc. « Le projet est né d'une envie de développer une politique culturelle innovante, dont la première mission est pédagogique pour constituer une collection publique avec une méthodologie différente » poursuit Yannick, associé à Véronique Traquandi à qui revient la paternité du projet. « Aucune collection publique n'avait à ce jour été constituée par des collégiens » précise-t-il, conscient de cette grande première. Cette année, le Collège Edmond Rostand situé dans le 13ème arrondissement de Marseille a participé à cette initiative riche et intellectuellement stimulante. Les deux professeurs, Jeanne Rosetto et Laure Polizzi, respectivement professeur d’arts plastiques et professeur de français ont encadré les élèves, pendant ces deux années. Celles-ci ont encore les larmes aux yeux à la simple évocation de l’expérience. L’une et l’autre évoquent une évolution palpable des élèves passés de la 4ème à la 3ème qui se sont tous enrichis « d’un vocabulaire conceptuel autour de l’art contemporain, ce qui n’était pas forcément gagné d’avance » explique Jeanne. « Il s’agissait d’une classe très difficile. Et étonnamment elle fut très facile à canaliser dans une galerie ou lors d’une visite chez un collectionneur privé. Les élèves ont tous montré un réel sérieux, même, et surtout je dirais, certains élèves difficiles ».

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Chaise en bois, résine, mouche, 2009, 81 x 42 x 45 cm

Burkard Blümlein,  Comment expliquer que de jeunes adolescents aient autant joué le jeu ? « C’est sans doute le fait d'avoir le sentiment de ne plus être dans un cadre scolaire, de n’être plus sur une chaise, d'être sollicité à titre personnel et individuel qui les fait rester très attentifs » continue-t-elle. Détail d’importance, les professeurs ne sont pas livrées à elles-mêmes pendant ces deux années, elles ont autour d’elles un solide réseau culturel du Département, et notamment les deux associations Sextant et Art-o-rama qui accompagnent les élèves en galeries, dans des ventes aux enchères, ou dans les ateliers d’artistes de la Friche Belle de Mai qui accueillent de nombreuses résidences (comme Victoire Barbot qu'on interviewait il y a peu). L’occasion pour les classes de se familiariser avec des notions qui leur sont jusqu’ici parfaitement étrangères. Qu’est-ce que l’art ? Qu’est qu’une collection ? Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Des questions qui sont pleinement abordées en classe. Une poignée de groupes se constituent ensuite, en fonction des rencontres et des affinités qui se dessinent entre élèves et artistes lors des différentes visites. Chacun d’entre eux défendra un artiste et plusieurs de ses créations pour les présenter à un comité d’acquisition à la fin de l’année. « Cette année la classe s’est partagée en quatre groupes pour défendre quatre collections différentes à travers des dossiers qui ont fait naître des conversations passionnantes entre les élèves ». Pourquoi défendre cette œuvre et non celle-ci, croisée en galerie ? Pourquoi promouvoir cet artiste rencontré, plutôt qu’un autre ? « Les élèves, dans ce moment de choix éminemment personnel, sont en capacité d’affiner leur goût et leur jugement » affirme Jeanne.

Visite du collège au CIRVA.

À quel moment lors de l’apprentissage scolaire, cette expérience heuristique et critique leur est-elle proposée ? Question rhétorique évidemment. Les programmations qu’ils découvrent ont, et c’est d’autant plus louable, le mérite d’être pointues. Ce n’est donc pas parce que l’on s’adresse à des adolescents, de surcroît issus de l’immigration pour la plupart, qu’il faudrait les aérer dans un parc d’attractions et non dans une galerie d’art contemporain. Ainsi valorisés, les élèves qui ne maîtrisent pas tous le français « se mettent à parler d’artefact, de protocole, de médium, d’outils, un vocabulaire qu’il est, à leur âge, formidable de posséder » s’enthousiasme Emmanuelle Luciani, membre, cette année, du comité d’acquisition. Il faut voir ces ados qui viennent des cités s’animer, parler de création contemporaine, se passionner pour la dimension abstraite de certaines œuvres et constituer des dossiers pour raconter en quoi le travail d’un artiste entre en résonance avec leur histoire personnelle. Et tous, sans exception, même le caïd de la classe, ont une peur bleue de passer devant le comité car c’est beaucoup d’eux dont ils parlent lorsqu’ils présentent les œuvres qu’ils voudraient voir acheter. Comme cette élève dont le français est fragile qui fait partie du groupe dont la collection a été choisie et qui anime encore sa professeur de Français : « Ce projet permet de révéler les élèves à eux-mêmes, je pense à une élève, notamment qui ne parle pas, qui ne s'exprime jamais. Pendant le projet, elle s'est mise à écrire, c'est très beau ce qu’elle écrit. Découvrir cela a été fort pour moi. Je vous livre ses quelques lignes : «Le miroir tue la beauté car on voit l'opacité. Le miroir attire le regard d’un spectateur. Le miroir donne un aspect effrayant car on ne voit rien, comme un trou noir. » Le comité d’acquisition en a eu des frissons. C’est son groupe qui l’a emporté, même si les départager est chaque année est un crève-cœur. Les quatre jeunes filles ont commencé leur intervention devant le comité de journalistes, critiques d’art et membres de la Région, les jambes tremblantes et ont brisé le silence avec ces quelques mots : « C’est le vide qui crée l’absence. Les quatre œuvres que nous présentons parlent de cette absence. »

Burkard Blümlein, Miroir dépoli, 1996. 90 x 69 x 2 cm

Quatre œuvres des artistes Burkard Blumlein, Paul Paillet et Pascal Navarro sont grâce à elles désormais collectionnées par le Département. Qui aurait pensé que jeunes collégiennes auraient cette envie, cette capacité et ce pouvoir ? Avec une délicatesse et une maturité déconcertante elles ont défendu quatre œuvres (Miroir dépoli, Arc de Triomphe de Palmyre, Chaise en bois, résine, mouche et Homesickness illustrés au cours de l'article) qui, deux ans plus tôt, auraient pu les laisser de marbre. Aujourd’hui, les élèves qui ont participé au programme, invitent leur famille à découvrir les galeries qu’ils ont découvertes, le week-end. Certains demandent la formation qu’il faut suivre pour devenir « artiste ». Les Nouveaux Collectionneurs suscitent des vocations à un moment où les élèves formulent leurs vœux d'orientation. Une action culturelle qui permet d’éviter cette question terriblement creuse si elle n’est pas assortie d’une réflexion vaste, articulée et tissée : « alors tu veux faire quoi plus tard ? ». Retrouvez tout ce qu'il faut savoir sur Les Nouveaux Collectionneurs sur leur site.