Alliances fortuites et poudre d’escampette, comment le Louvre a résisté à Hitler
Images extraites du documentaire "La Guerre du Louvre", de Jean-Claude Bringuier.

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Les Mystères de l'Art

Alliances fortuites et poudre d’escampette, comment le Louvre a résisté à Hitler

Retour sur l'immense travail des résistants qui permit de cacher des centaines de chefs-d'œuvre des Allemands.

Délaissé, pillé, détruit, reconstruit, agrandi, glorifié, avant d'être un musée, le Louvre a connu un destin chaotique, vécu de nombreuses métamorphoses et connu d'extraordinaires aventures. Celle qui est racontée ici n'est pas mystérieuse, ni même vraiment méconnue, au contraire, elle appartient à la mémoire collective, à l'histoire. En revanche, nombre des anecdotes qui l'entourent ne sont, ne seront sûrement jamais rapportées et resteront aussi secrètes que certains couloirs obscurs du plus grand musée du monde.

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Un exode soigneusement planifié La guerre frappe aux portes de Paris en juin 1940. La ville comme le Louvre s'apprêtent à vivre l'une des occupations les plus longues et les plus difficiles de leur histoire. Dès son arrivée dans la capitale en août 1940, le comte Franz Wolff-Metternich, responsable du Kunstschutz au sein de la Wehrmacht (la commission de protection de « l'art de l'ennemi »), se précipite au Louvre. Mais à son arrivée, il ne trouve que des salles vides et l'impénétrable directeur des Musées nationaux, Jacques Jaujard, les bras soigneusement croisés pour éviter d'avoir à serrer la main de l'occupant. Disparus La Joconde et Le Scribe accroupi

À part de la poussière, des œuvres de réserve et des vieux clous, le musée est dépouillé de ses chefs-d'œuvre. Et qui voudrait d'un Paris sans Louvre ? Surement pas Hitler qui comptait sur le vol organisé de ses trésors pour enrichir le Führermuseum, un autre de ses projets insensés qui consistait en l'édification d'un musée monumental dans sa ville natale de Linz, en Autriche. Le Führer, passablement irrité de voir ses plans contrariés, ignorait que depuis 1938, craignant la montée de l'Allemagne Nazi, Jacques Jaujard avait minutieusement et clandestinement organisé un incroyable plan d'évasion.

Les grands résistants ont le goût du secret, et monsieur Jaujard est un héros très discret. Loin du front et avec l'aide des directeurs et conservateurs des musées de la France entière, il mène une guerre parallèle pour préserver le patrimoine culturel de son pays. En fin stratège, il a orchestré avec René Huyghe, le conservateur en chef du département des peintures, l'évacuation du musée. En trois jours et trois nuits, 3 691 œuvres vont être soigneusement décrochées des cimaises du musée, empaquetées et chargées à bord de voitures particulières et de camions des grands magasins ou de la Comédie-Française en direction de Chambord, à 160 km au sud de Paris. On emporte tout ce qui peut l'être. Le 28 août 1939, La Joconde quitte le Louvre. Et le 3 septembre, au lendemain de la déclaration de guerre, les œuvres les plus précieuses partent immédiatement.

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Mêlés aux foules de l'exode, les 37 convois traversent la ville et s'enfoncent dans la campagne française. Malgré les gaffeurs qui soulèvent les fils téléphoniques lors du passage des camions, Le Radeau de la Méduse, poursuivi par son destin, s'échoue dans les fils du tramway à Versailles et provoque une panne générale d'électricité dans la ville. Mis à part le chef-d'œuvre de Géricault, la plupart des chargements arrivent sans esclandres au Château de Chambord qui va faire office de gare de triage au début de la guerre.

Au fur et à mesure de l'avancée allemande et malgré les injonctions du gouvernement de Vichy, Jaujard ré-évacue en urgence les œuvres vers le Sud-Ouest et la zone libre, notamment à Montauban et dans le Massif central. Il choisit soigneusement ses planques pour tenter d'échapper aux menaces des bombardements. La Victoire de Samothrace, la dernière à quitter le Louvre, va rejoindre le château de Valençay dans l'Indre. Quant à la célèbre Madone de Michel-Ange, elle sera déplacée à Louvigny, puis pérégrinera entre l'abbaye de Loc-Dieu, le musée de Montauban et le château de Montal, dans le Lot, où elle finira son périple et restera cachée jusqu'à la fin de la guerre.

Un allié providentiel Toute la guerre, Jacques Jaujard restera à son poste, faisant obstruction à la convoitise d'Hermann Göring – dirigeant du gouvernement du Troisième Reich –, usant de toutes les combines possibles et de l'inertie bureaucratique, mais aussi en bénéficiant de la protection et de l'appui d'officiers allemands hostiles au pillage. Pour sauver un peu de la beauté du monde, Jaujard va trouver en la personne de Franz Wolff-Metternich un allié inattendu. Comme beaucoup d'aristocrates allemands à l'époque, Wolff-Metternich n'est pas membre du parti nazi. Professeur aux Beaux-Arts de Bonn, historien et grand amateur d'art, le comte s'en tient strictement à sa mission de protection du patrimoine artistique de la France occupée, même si la menace vient de son propre camp. Quand il quitte le bureau de Jaujard après leur premier face-à-face au Louvre, il tient dans sa main l'inventaire complet des œuvres et leur localisation que vient de lui confier le directeur. Dans son journal, ce dernier écrira : « Tout homme gagne à être mieux connu. Il est souvent meilleur qu'on ne pensait et toujours plus malheureux. » Il raconte que l'officier allemand a presque semblé soulagé de trouver le Louvre vide lors de cette première rencontre et Jaujard décide de lui faire confiance.

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Jacques Jaujard

Vol au-dessus d'un nid de nazis  Metternich va effectivement tout faire pour appuyer le plus discrètement possible l'action de Jacques Jaujard, à tel point qu'il finit par être destitué de son poste pour « vision trop francophile » de sa mission. Il est réexpédié à Bonn. Le directeur du musée perd un allié de taille, mais continue son combat. Après le renvoi de Metternich, les vols se multiplient. De nombreuses œuvres faisant partie des collections juives dont le gouvernement de Vichy avait autorisé le séquestre lorsque leurs propriétaires avaient quitté le territoire national (réfugiés à l'étranger ou déportés) sont saisies par les services nazis. Beaucoup d'entre elles n'ont jamais retrouvé leurs propriétaires et sont encore aujourd'hui orphelines.

À la fin de la guerre, des milliers de tableaux et d'œuvres inestimables volés dans les musées français sont retrouvés dans des mines de sel et des galeries souterraines en Autriche et en Allemagne. D'autres encore sont découverts dans les résidences de hauts fonctionnaires nazis. 1 400 tableaux de maîtres (desCourbet,Renoir,MatisseetChagall) ont été récupérés en 2012 àMunich, au domicile deCornelius Gurlitt, fils deHildebrand Gurlittqui fut l'un des conseillers artistiques de Hitler. La statue de Sainte Marie-Madeleine, attribuée à Gregor Erhart, est quant à elle retrouvée dans l'une des demeures de Göring. La quête de ses œuvres dérobées et la lutte qu'a menée Jacques Jaujard ont inspiré de nombreux films etdocumentairescomme celui de Jean-Claude Bringuier, La Guerre du Louvre(1990), ou Monuments Men(2014) réalisé par George Clooney.

Les collections publiques mettront plus de quatre ans à regagner les musées qu'elles avaient dû fuir. Miraculeusement, le moindre clou revient au Louvre sans que rien n'ait été endommagé. Avant même le retour de ses protégés, Jaujard, médaillé de la résistance, est nommé directeur général des Arts et des Lettres. À sa demande, Metternich se voit décoré de la Légion d'honneur par le Général de Gaule en 1952. Cette amitié inespérée entre les deux hommes a certainement permis de sauver les chefs-d'œuvre qu'abrite encore le Louvre aujourd'hui. Si Jacques Jaujard reste un héros peu connu de la résistance, il est indéniable que Mona Lisa lui doit une fière chandelle.

Lucie Etchebers-Sola résiste à l'oppression sur Twitter.