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Culture

Le vrai Indiana Jones

Si vous cherchez une antiquité pillée par des milices en Ukraine, ou un Vermeer volé dans un musée aux Pays-Bas, vous aurez besoin d'Arthur Brand.
Image courtesy Arthur Brand

Lors d’une chaude journée d’août 2015, le Dr Arthur Brand se trouve dans des bureaux de la capitale de l’Ukraine, Kiev, non loin de l’ambassade des Pays-Bas. Debout, Brand fait un bon mètre quatre-vingt-dix, couronné d’une chevelure blonde impeccablement coupée et d’un visage aux traits sévères qui rappellent un Viking. Accompagné d’un officier de police néerlandais et d’un traducteur local, il va rencontrer un milicien anti-Russes appelé Borys Humeniuk, une sorte de molosse clairement entraîné à intimider ceux qui l’approchent. «C’est le genre de type que tu ne voudrais pas croiser dans une ruelle sombre», nous dit Brand. «Mais je l’aime bien. J’aime les personnes avec le mot criminel tatoué sur le front, parce que tu sais directement à qui tu as affaire.»

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Humeniuk représente un groupe paramilitaire d’extrême-droite appelé l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens, qui a récemment découvert 24 peintures volées au Westfries Museum aux Pays-Bas il y a une dizaine d’années. Brand est ici pour négocier leur rapatriement, mais il a de mauvaises nouvelles pour l’Ukrainien, qui espère des honoraires de cinq millions d’euros.

Il brandit l’étude – principalement des chiffres de ventes et des évaluations de pièces comparables – qui doit convaincre Humeniuk de la valeur réelle des peintures. Jusqu’à présent, les Ukrainiens n’enfreignent aucune loi, puisque qu’un pourcentage de 10% est tacitement accordé à celui qui trouve une œuvre. Cependant, s’ils refusent de retourner les biens, la police risque de venir y regarder de plus près. Quand Brand lui dit que son pactole n'est pas pour aujourd'hui, Humeniuk fait la gueule.

Photo d'une oeuvre d'un maître flamand datée par la Une d'un quotidien Ukrainien.

Les 24 peintures en possession d’Humeniuk sont de la main de maîtres néerlandais des 17ème et 18ème siècles, des contemporains de Rembrandt et Vermeer, mais dont le prix des œuvres n’a jamais atteint des sommets. Néanmoins, ils demeurent d’un grand intérêt culturel pour le Westfries Museum à Hoorn, où ils manquent depuis leur cambriolage en 2005. L’ensemble de peintures est estimé à 500 000 euros, et le directeur du musée, Ad Geerdink, est prêt à offrir aux Ukrainiens un cachet de 50 000 euros. Mais c’est de l’argent de poche comparé aux estimations à 50 millions d’euros d’Humeniuk. Cela signifierait une récompense de 5 millions d’euros, et non 50 000. «Ils ont déjà promis à leurs maîtresses une nouvelle maison, et je dois leur donner un ticket pour la réalité» explique Brand. Entre argent et problème de communication, annoncer des mauvaises nouvelles à des miliciens énervés fait simplement partie du boulot.

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Brand a pris part à quelques-unes des plus intéressantes découvertes d’antiquités, affaires de faux et vols d’œuvres d’art du 21ème siècle. Traitant avec des agents de douane et la police nationale d’un côté et des contrebandiers, des faussaires et des chasseurs de trésor de l’autre, Brand est comme un Indiana Jones du monde de l’art en costard. Sans recourir à un fouet, il compte sur l’enquête, l’honnêteté et l’intelligence pour survivre et prospérer dans ce que le FBI appelle le troisième plus vaste marché noir au monde – seules les drogues et les armes génèrent plus d’argent que le trafic d’œuvres d’art.

Au cours de sa carrière, Brand a entre autres mis à jour un trésor vieux de 1300 ans, pillé illégalement dans une tombe péruvienne, et il a aidé à récupérer en Egypte, la seule copie connue de l’Evangile selon Judas pour des spécialistes de la Bible. En 2011, Brand a fondé avec son collègue David Kleefstra une société de conseil dénommée Artiaz, pour assister musées et gouvernements à localiser et acquérir les œuvres volées. Plus tôt cette année, ils ont découvert et aidé à mettre en sécurité des sculptures équestres de Josef Thorak, qui appartenaient à Hitler et que l’on croyait détruites pendant la chute de Berlin. Les deux imposants chevaux étaient en fait entre les mais d’un groupe de sympathisants nazis. Le directeur du Westfries Museum, Ad Geerdink, a travaillé étroitement avec Brand depuis l’an passé, à la recherche de ces peintures disparues. «C’est un enquêteur très professionnel, dévoué, bien renseigné, tenace et futé avec un sens de la justice et une passion pour l’art» raconte Geerdink The Creators Project. Brand a pris goût au marché noir des antiquités par accident, et du mauvais côté de la frontière légale. Pendant des études à l’étranger, désœuvré, il suit un groupe de gitans dans le désert andalou en Espagne. Ils l’invitent à le rejoindre dans leur soirée de fouilles clandestines à la recherche d’objets anciens et il tombe sur une pièce qu’il reconnaît avoir été d’usage sous la Rome antique. «Si vous tenez dans les mains une pièce romaine à l’effigie d’un empereur romain, qui a survécu à plus de deux mille ans, et bien, c’est magique.»

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Ancienne propriété d'Adolf Hitler, sans Brand ces deux imposant chevaux deJosek Thorak n'auraient pas été retrouvés.

À son retour en Hollande, alors qu’il continue ses études, Brand commence à collectionner des pièces de monnaie à son tour, et apprend que rien n’est plus frustrant qu’un faux. Afin de mieux faire la différence entre le vrai et le faux, il tente de contacter un homme dont il a reconnu le nom dans les journaux pour des affaires de crimes d’art de haute volée : le fameux contrebandier néerlandais reconverti en informateur de la police, Michel van Rijn. «Il pouvait s’asseoir à une table avec le FBI, Scotland Yard mais aussi avec les plus grands criminels du monde de l’art. Assis là, pas à sa table, mais écoutant depuis la table d’à côté, j’ai vite appris.»

Van Rijn, un homme corpulent, barbu, au teint buriné de pêcheur, se prend d’affection pour le jeune élève et collectionneur de monnaie. Il introduit Brand aux informateurs, aux officiers de police, aux contrebandiers qui vont devenir la base de son réseau d’informateurs. «Au début il me traitaient d’idiot et disaient “Tu ne vas jamais piger ce qu’on fait.” Mais les choses ont un petit peu changé», raconte-t-il en se marrant.

En dépit de l’histoire du criminel repenti, le tutorat de Van Rijn a enseigné à Brand que la confiance est la clef de tout. «Si vous n’êtes pas honnête avec les criminels, soit ils vous descendent soit ils ne vont plus jamais travailler avec vous. Si vous mentez à la police, ils vous arrêtent. Si vous voulez être dans ce monde, vous devez être honnête avec tout le monde.» Des valeurs instillées chez Brand par son père, un professeur des écoles strict et inflexible qui lui disait “Si jamais tu voles un vélo, je te fracasse la tête.»

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Armé de ses relations et de son savoir-faire, Brand s’avance dans son nouveau rôle comme l’anti-contrebandier. Il poursuit l’aventure, la gloire et des œuvres d’art hors de prix mais ne se soucie guère de sa richesse personnelle. «Je ne veux pas apparaître dans les journaux comme le prochain grand criminel du monde de l’art. Je veux résoudre des mystères. Le matin, je veux être capable de me regarder dans le miroir.»

Un dévouement total est la seule solution pour trouver des oeuvres qui « devraient être dans des musées », « c’est la façon de fonctionner dans un monde de l’art corrompu », insiste Brand. Si Interpol souligne que le marché de l’art clandestin est difficile à évaluer, Brand estime quant à lui qu’un bon tiers du milliard de dollars du marché de l’art est contrefait, et qu’au moins 30% des antiquités présentes dans les galeries et les musées ont été prélevées illégalement sur des sites de fouilles. Qu’il soit en train d’analyser des documents anciens, de cultiver ses contacts dans le milieu de la contrebande ou d’aider une enquête policière, l’objectif de Brand est toujours le même et il n’en dévie jamais. «J’aime vraiment l’art. Je collectionne des œuvres d’art. Et je déteste ces faussaires et ces voleurs.»

Jacob Waben, Vanité, 1622. Une des 24 peintures détenues par les nationalistes Ukrainiens.

Retour à Kiev. Humeniuk refuse l’offre de 50 000 euros. «Il va y avoir un problème», dit-il. «Mes hommes attendent autre chose.» Il s’en va, disant qu’il va tenter de convaincre ses troupes, mais dans les semaines qui suivent, Brand découvre que les peintures sont de retour sur le marché. Brand, les autorités néerlandaises et le gouvernement ukrainien sont actuellement en manœuvre délicate dans l’espoir de faire revenir les 24 peintures aux Pays-Bas. D’un côté de la balance, se trouve le cœur de la collection des 17ème et 18ème siècles du musée, un aperçu unique de l’âge d’or flamand, que le directeur Geerdink décrit comme «inestimable dans l’histoire que nous racontons». De l’autre côté, des milliers d’euros vont être dépensés par les forces combattant les sympathisants russes en Ukraine. Pendant ce temps l’heure tourne, jusqu’à un référendum le 6 avril aux Pays-Bas sur une décision de l’Union Européenne d’inclure l’Ukraine dans un traité de libre-échange – le premier pas vers une potentielle adhésion à l’Union Européenne. L’apparente incapacité du gouvernement ukrainien à sécuriser les peintures pourrait freiner l’adoption de l’accord. «Nous réalisons que les peintures volées font partie d’une situation très compliquée dans laquelle le conflit dans l’Est de l’Ukraine, [le crash de] l’avion MH17 de Malaysian Airlines, l’affaire scythe pourraient jouer un rôle dans tout cela», dit Gerdink.

«On connaît les moindres mouvements de ces gens. On a donné toutes nos informations au gouvernement ukrainien et on attend les résultats», dit Brand. «On n’a rien à faire du référendum – on veut juste récupérer ces peintures.»

Retrouvez toute l'actualité et les aventures d'Arthur Brand sur son site.