Chiharu Shiota joue à l’araignée au Bon Marché
Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Chiharu Shiota et du Bon Marché Rive Gauche.

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Culture

Chiharu Shiota joue à l’araignée au Bon Marché

On a parlé géopolitique et grosses bobines à l'artiste japonaise à l'occasion de son installation « Where are we going ? » au Bon Marché.

L'artiste japonaise Chiharu Shiota qui avait représenté le Japon à la 56ème Biennale de Venise avec The Key in the Hand, 2015, a aujourd'hui carte blanche au Bon Marché. Avec 150 bateaux suspendus et tissés de fil blanc, il fallait s'embarquer. Je suis montée à bord, avec mes questions, lors d'une interview au Bon Marché.

« Where are we going ? », je ne pouvais pas passer à côté d'une question aussi métaphysique que celle que Chiharu Shiota posait. Direction la nef principale du Bon Marché où l'installation de l'artiste commençait à prendre forme. J'avais toujours imaginé, naïvement, que Chiharu tissait sa toile, seule, avec ses vingt doigts (si l'on compte ceux des pieds). Dix ans que je vivais avec cette envie de la voir à l'ouvrage. Et puis je voulais savoir aussi si sa question jetée au monde était politique. « Where are we going ? » D'autant que les 150 bateaux suspendus ici me mettaient sur la piste des réfugiés (pas que je les cherchais tous, bien sûr), mais j'aurais voulu, je l'espérais, je priais intérieurement que ce fût ici un acte fort, méta-politique encore plus que métaphysique.

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« On ne peut nier ce problème, mais mon installation est plus portée sur ce monde qui va vite, hyper-connecté qui ne connecte pourtant pas les êtres. » J'acquiesce. En effet, j'ai croisé un « ami-sur-facebook », il ne m'a pas reconnu, il ne savait absolument pas qui j'étais et même mon assertion « nous sommes amis sur facebook » ne l'a pas convaincu. Sa réponse « amis, oui, mais sur les réseaux sociaux. » Chiharu a raison. Il faut désormais vivre avec cette désillusion contemporaine des liens virtuels qui nous ramènent à une extrême solitude.

Ces liens, on les retrouve ici, splendides, emmêlés les uns aux autres, tombant du ciel comme un seul et même sac de nœuds qui crie « pourquoi vivons-nous ? Dans quel but ? ». Alors je traverse cette masse, cette nuée, blanche (c'est la première fois que l'artiste utilise du fil blanc à l'occasion du mois du blanc, gage de pureté au Japon lors du nouvel an). Quelques assistants sont là et déroulent d'immenses pelotes blanches (ne pas venir avec un chat, cela me semble évident). Perchées sur des escabeaux, elles font partie, sans le savoir, d'un magnifique ballet. Chiharu m'explique que son rapport à la création est éminemment simple « Nous avons des voisins, de la famille, mais nous ne pouvons pas accéder à ce qu'ils sont réellement, alors je crée pour accéder à l'autre. Toucher le coeur d'une autre personne dans notre quotidien opaque. » Le mien l'est. Touché.

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Je comprends ce qui est signifié en sourdine : on aura beau essayer de comprendre le miracle de la vie, on sera toujours ces papillons aveuglés qui se prendront dans une toile. « j'ai bien conscience que ma question « Where are we going ? » est une question usuelle et un peu vaste comme une pierre jetée dans un lac, mais j'aimerais que les visiteurs s'embarquent avec moi sur ces bateaux et se posent aussi cette question du temps».

J'ai soudain envie de décrocher une barque et partir pour Osaka. Du port d'Osaka, on prendrait un bateau, de nuit, pour Kochi, dans la mer intérieure. Et on atteindrait l'île de Shikoku où elle se réveillait le matin, petite enfant, la tête pleine d'images qui deviendraient la matière de sa création des années plus tard. Au fond, c'est peut-être l'enfant intérieur de Chiharu qui restitue ici, comme autant de persistances rétiniennes ses souvenirs vivants.

« Mon installation n'est pas un décor, je voudrais que cela soit un peu plus pour les visiteurs ». Ceci n'est pas un décor, c'est bien plus, évidemment. C'est un nid blanc aussi réconfortant qu'inquiétant. C'est un fil d'Ariane. Mais pas celui de la mythologie, celui bien plus concret de la corde qui sert au plongeur à retrouver son chemin dans les eaux troubles.

« Where are we going », créations originales de Chiharu Shiota au rez-de-chaussée du Bon Marché, à Paris, sous les verrières centrales et en vitrines, jusqu'au 18 février.