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Culture

Christo emballe le lac d’Iseo

Trente ans après avoir empaqueté le Pont-Neuf, l’artiste américain d’origine bulgare a jeté des pontons dorés sur un lac en Italie.
Photos : Wolfgang Volz © 2016 Christo.

Comme toujours chez Christo Vladimiroff Javacheff, c’est peut-être le processus de création qui impressionne encore plus que les œuvres grandioses que l’artiste bulgaro-américain conçoit depuis près de 60 ans avec sa femme Jeanne-Claude Denat de Guillebon — née comme lui le 13 juin 1935 — sous le nom d’artistes Christo et Jeanne-Claude. Sa dernière réalisation, The Floating Piers, il l’a fait seul — son épouse est décédée en 2009 — mais c’était bien un projet commun : l’idée date des années 70 et devait à l’époque prendre place dans le delta du Rio de la Plata, en Argentine. Il a ensuite été question de le monter au Japon. Sans succès. Comme le rappelle l’artiste de 81 ans à Arte, seuls 22 de ses projets sur 59 ont on vu le jour. « Certains ont été refusés, d’autres ne nous plaisaient plus. Mais certains projets refusés étaient restés dans nos cœurs et dans nos têtes. »

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Ces « jetées flottantes » ressorties des cartons ont donc enfin pris forme sur le lac d’Iseo, en Lombardie, dans l’Italie du nord. Elles relient l’île de Monte Isola, une île de 12,8 kilomètres carrés peuplée de 1800 âmes, et l’îlot de San Paolo, desservis d’ordinaire uniquement par ferry, à la ville de Sulzano. Sur 16 mètres de largeur, 220 000 cubes flottants en polyéthylène, retenus par 190 ancres descendant jusqu’à 90 mètres de profondeur et recouverts de 100 000 mètres carrés de tissu jaune, forment une promenade de cinq kilomètres au ras de l’eau.

Vue aérienne de The Floating Piers sur le lac d'Iseo.

Les projets de celui qui est connu pour avoir « empaqueté » la côte australienne en 1969, le Pont-Neuf à Paris en 1985 ou le Reichstag à Berlin en 1995 se racontent aussi en chiffres. Ils ont avant tout la particularité d’être auto-financés par la vente des esquisses et des maquettes préparatoires. Floating Piers, qui a nécessité une centaine d’ouvriers pendant près de six mois, représente donc 15 millions d’euros mais reste accessible, du 18 juin au 3 juillet, gratuitement au public, de jour comme de nuit. 150 personnes et 30 maîtres-nageurs sauveteurs assurent la sécurité des visiteurs sur les pontons.

L'artiste supervise l'installation du tissu sur la jetée.

Tous ces chiffres ne doivent pas faire perdre de vue le but principal de l’installation : expérimenter l’œuvre. Admirer les montagnes verdoyantes qui encerclent le lac ; avoir l’impression de marcher sur l’eau, voire en profiter pour piquer une tête ; noter le changement de couleur du tissu — jaune-dahlia par temps lumineux, orange vif lorsqu’il s’humidifie. Mais, surtout, questionner la représentation de l’art. Christo le dit mieux que personne : « Ce projet n’est pas un tableau, pas une sculpture. Ce n’est pas quelque chose que l’on observe ou que l’on accroche à un mur. Tu ne peux pas le contourner comme une sculpture traditionnelle en 3D : tu dois le sentir avec tes sens. Sentir le froid, la chaleur, le vent, la pluie, la lumière du soleil. Tu dois prendre le temps de faire les 5 kilomètres — pas virtuellement, il faut vraiment marcher 5 kilomètres. »

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L'installation vient s'étendre jusque dans les rues de la ville.

La communication faisant partie intégrante du processus, l’annonce de Floating Piers a bien circulé puisque les estimations de visite ont été dépassées, avec plus de 55 000 visiteurs — et une flopée de photos sur Instagram — rien que pour le week-end d’ouverture. Et ce malgré une météo capricieuse, qui a contraint les autorités à restreindre l’accès aux pontons, et des sabotages sur la ligne ferroviaire menant à Iseo.

Forte affluence  et mauvaise météo pour le week-end d'ouverture.

Si vous n’êtes pas dans le coin d’ici-là, des caméras filment en continu les hordes de visiteurs qui s’y promènent. Une rétrospective de l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude, « Water Projects », est aussi à voir au musée de Santa Giulia, à Brescia, jusqu’au 18 septembre. Si vous ne quittez pas la France, une exposition à la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, permet de découvrir une autre œuvre monumentale de Christo et Jeanne-Claude, Mastaba — qui n’a malheureusement pas encore vu le jour —, jusqu’au 27 novembre.

Dessin préparatoire. Photo : André Grossmann © 2015 Christo

The Floating Piers de Christo et Jeanne-Claude est à voir sur le lac d’Iseo, en Italie, jusqu’au 3 juillet 2016. Un ouvrage chez Taschen retrace l'histoire du projet :
Christo & Jeanne-Claude, The Floating Piers. 128 pages, 19,99€