Des feux d’artifice, en un peu moins chiant

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Culture

Des feux d’artifice, en un peu moins chiant

Damion Berger a renouvelé la photo de feux d’artifice en ne gardant que les négatifs.

Il n'y a pas plus banal qu'une photo de feu d'artifice. Pire, un tel cliché ne semble bon qu'à figurer, au mieux, sur une carte postale de vacances un peu kitsch, au pire, dans les pages de la PQR un lendemain de 14 juillet. Pourtant, un photographe anglais, Damion Berger, a complètement renouvelé le genre avec une méthode toute simple : en ne gardant de ses prises de vue que le négatif. Les résultats, compilés dans une série intitulée Black Powder, donnent lieu à des compositions monochromes très graphiques, qui nous font à nouveau aimer ces spectacles populaires au charme désuet.

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Fascinée par l'étonnante beauté qui se dégage des images de Berger, j'ai décidé de le contacter pour en savoir plus sur l'origine de cette série et sa méthode de travail.

Sting (Solarized), Monaco, 2008

Creators : Bonjour Damion, comment vous est venue l'idée de ces négatifs de feux d'artifice ?
Damion Berger : La première photo de feux d'artifice qui a inspiré cette série a été faite à l'été 2009. Il me restait une pellicule noir et blanc sur un porte-film que je voulais exposer — un film-test en quelque sorte. Cette nuit-là, Sting jouait pas loin et, soudain, à la fin du concert, un feu d'artifice apparaît au-dessus d'un petit bateau dans la baie en face de mon appartement. J'ai couru au balcon et, comme je n'avais pas de trépied, j'ai utilisé un coussin pour stabiliser mon appareil. Peu après avoir envoyé mon film au labo, je suis retourné à New York. Des mais plus tard, et après avoir oublié l'existence de ce film, j'ai reçu un paquet du laboratoire de développement. Dedans, il y avait seulement le négatif du film avec le feu d'artifice… mais ils avaient oublié de m'envoyer la planche contact ! J'ai donc placé le négatif sur ma table lumineuse et, en voyant ce négatif de feu d'artifice nocturne [cf. photo ci-dessus, ndlr], ça a été une révélation.

À la base, êtes-vous un amateur de feux d'artifice ?
C'est amusant, car je n'avais pas un grand intérêt pour les feux d'artifice quand j'ai commencé la série Black Powder. En fait, ma "surexposition" (si vous me permettez le jeu de mots) quasi quotidienne aux feux d'artifice estivaux dans la baie face à laquelle je vis dans le sud de la France m'a rendu presque blasé. Ma fascination repose plutôt dans l'exploration de ce qu'une photographie enregistre de notre propre expérience visuelle. Les clichés typiques de la  plupart des photographes de feux d'artifice ne m'intéressent évidemment pas. Je suis fasciné par comment les feux d'artifice peuvent recontextualiser la familiarité à travers l'alchimie du procédé photographique, ce qui soulève autant des questions sur l'histoire que sur l'architecture, la réalité et le temps — qui ont une résonance bien plus profonde.

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Opening Ceremony I, Olympic Stadium, London, 2012

Est-ce que vous choisissez des feux d'artifice en particulier ou est-ce que vous en prenez au hasard ?
Je cherche principalement sur internet, des feux d'artifices qui ont intérêt contextuel ou conceptuel à mes yeux — historique, architectural ou juste purement kitsch…. Je me rends ensuite sur les lieux dans ce but uniquement.

Et une fois sur place, comment procédez-vous ?
J'utilise une chambre manuelle grand format 10x12, des objectifs adaptés, une pellicule noir et blanc traditionnelle et un trépied solide comme un roc, fixé avec des poids pour que l'appareil ne bouge pas d'un iota. Des recherches, de l'instinct et Apple Maps ou Google Earth sont souvent indispensables pour trouver l'angle idéal pour les photos que j'ai en tête — souvent compliqué d'accès, loin de foule et parfois sur un toit. Six heures de préparation avant que le feu ne commence ne sont pas de trop.

Untitled IX, 2010

Vous gardez vos négatifs tels quels ou vous les retravaillez sur Photoshop ?
Il n'y a pas grand chose en termes de post-production. Je développe les négatifs dans ma chambre noire, je les scanne et je fais quelques légers ajustements sur Photoshop pour respecter l'intégrité du négatif original.

Il semble que vous ayez tendance à travailler de plus en plus en pose longue : pourquoi ?
Plutôt que d'essayer de capturer un "instant décisif", mes photographies sont plus comparables à des enregistrements de ce qui se déroule dans un laps de temps conséquent. De fait, elles révèlent une sorte d'architecture cachée tracée par la lumière et le temps. En raison de la nature des images que je crée, une exposition longue et répétée est nécessaire pour rendre l'effet présent dans Black Powder.

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Ifestia, Nea Kameni, Santorini, 2014

Enfin, pourquoi photographier en noir et blanc seulement ?
Je pense que ce qu'il se passe sur les images est suffisamment complexe pour qu'il n'y ait pas besoin d'y ajouter de la couleur ! Le noir et blanc donne souvent une tonalité nostalgique mais en négatif, c'est électrique, vibrant, moderne et inhabituel.

Je vois. Merci, Damion.

La Fiac I, Jardin des Tuileries, 2009

Pour retrouver la série Black Powder et en savoir plus sur Damion Berger, rien de mieux que d'aller faire un tour sur son site.