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Société

Zoe Ligon dissèque et colle des femmes nues

On a parlé pornographie, anonymat et pénis qui sortent de brocs d'eau avec l'artiste et sexologue Zoe Ligon.
Images courtesy Superchief Gallery

Des corps de femmes nues, ou presque, découpés dans des images surannées tirées de vieux magazines. C’est tout ce que vous trouverez dans les créations de Zoe Ligon. Basée à Brooklyn, cette jeune artiste expose en ce moment son projet Woman with the Good Meat Removed à la Superchief Gallery. Le titre vient de ces affiches qu’on trouve en boucherie et qui dissèquent les différentes pièces de viande qu’on peut trouver sur un bœuf. Zoe y voit une étonnante ressemblance avec ses modèles décharnés.

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Des corps qui s’enlacent sur fond de pubs sans intérêt, de parterre de fleurs et de toilettes jamais souillés. Voilà à peu près ce qu’on peut trouver dans « Woman with the Good Meat Removed». « On trouve dans cette série des thèmes qui abordent la féminité ou le plaisir, et cela avec un jeu de textures et d’anonymat. En disséquant les corps comme je le fais, il ne reste plus que de la géométrie, de la symétrie, des lignes et des angles », nous explique Zoe Lingon qui se trouve être aussi professeure d’éducation sexuelle. On s’est dit que rien que pour ça, on se devait de la rencontrer :

The Creators Project : À ton avis, quel est ton public ? Qui vient voir ton expo ? Est-ce que c’est le genre de choses auxquelles tu réfléchis ou tu t’en fous ?
Zoe Ligon : Je passe beaucoup de temps à analyser qui vient dans mon sex-shop ou qui lit mes articles sur l’éducation sexuelle. Mais pour ce projet, je ne pense pas vraiment que ça m’intéresse. Je ne sais pas qui ça peut intéresser. Dès que des créations sont notoirement érotiques, cela tend à diviser les gens. Mais bon, j’imagine que les gens qui aiment ce que je fais, doivent à un moment ou à un autre consommer du porno. Le collage a ce pouvoir étonnant de rendre les images pornographiques plus accessibles d’une certaine façon. Les gens sont moins choqués parce que l’image a été modifiée par l’artiste. C’est peut-être pour cela que je fais ça d’ailleurs, pour détendre un peu les gens avec une sexualité qui ne serait pas « à la papa ».

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Qu’est ce que tu comptes garder de cette expo ?
Même si vous regardez beaucoup de porno, cela ne veut pas dire que vous aimez regarder une bite accrochée à un mur dans une galerie. Il est même assez normal d’être un peu dérangé. J’adore voir des gens s’approcher de mes créations et ensuite reculer lorsqu’ils comprennent ce qu’ils viennent de voir. Comme s’ils étaient tout à coup embarrassés. J’aime bien l’idée de tester les limites et sortir les gens de leur zone de confort. J’ai envie qu’ils explorent ce qui les rend bien et ce qui les dérange. Parfois je vois un couple dans la galerie et si l’un des deux regarde une œuvre un peu en détail, l’autre, invariablement, regarde autre chose, baille, mate son téléphone. Ça en dit beaucoup sur leur entente et leur sexualité.

Quelles questions tiens-tu à souligner avec ce travail ? 
Je pense que tout le monde se fait sa propre interprétation de ce que je fais. J’aime imaginer que mon public arrive à jauger les différentes émotions que mon travail peut provoquer. Je veux qu’ils se demandent pourquoi je fais ça. À mon sex-shop, les gens sont souvent gênés par les immenses godes que je vends, la plupart du temps, il regarde ça comme une blague afin de dépasser l’embarras. J’ai vu un paquet de businessmen jouer à biffler leurs collègues avec des dildos de 30 centimètres comme des ados. Face à la pornographie et à la sexualité en général, les gens ont des réactions assez extrêmes, c’est cette dichotomie que j’aime susciter.

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L’anonymat et l’identité semblent être des thèmes important de ton travail. Qu’est ce que ça veut dire pour toi ?
Au départ, ce n’est pas une volonté de rendre mes personnages anonymes. Il se trouve que je coupe toutes les parties du corps et qu’évidemment, lorsqu’il ne reste plus rien, on a plus de mal à reconnaître quelqu’un. Comme ce procédé a rapidement rencontré un public, des gens se sont mis à croire que c’était mon corps dont on apercevait la silhouette. Ce n’était pas le cas mais maintenant ça m’arrive de jouer à cacher mon corps nu dans des séries. C’est assez chouette de pouvoir faire ça et de rester anonyme. Même si en fait, sans que je sache pourquoi, je n’ai jamais exposé ces créations. Il faut croire que je ne m’intéresse pas comme modèle.

Comme je travaille dans le sexe et que je n’utilise pas un pseudonyme, j’ai déjà eu affaire à des stalkers, ça a dans un premier temps créé en moi une sévère paranoïa et pas mal d’anxiété. Cependant, je ne regrette pas d’avoir gardé mon vrai nom. J’imagine qu’il est normal d’accepter les risques qui vont avec cette décision, et ce, même si je vis dans un quartier super progressiste où les gens sont ouverts. On finit toujours par être stigmatisé. Un jour peut être, ce ne sera plus « mal vu » de travailler autour de la sexualité, en attendant, l’anonymat est crucial pour beaucoup de professions dans notre pays, aujourd’hui encore.

La galerie dans laquelle tu exposes décrit ton travail comme « une décontextualisation des formes par découpe des identités et reversement des pouvoirs. » Qu’est ce que t’en penses ? 
J’imagine que ça veut dire que des bites et des chattes peuvent être un peu dérangeantes lorsqu’elles ne sont plus rattachées à quelqu’un. Pas mal de monde utilise mon collage d’un pénis sortant d’un broc d’eau pour me parler de ça. Moi ça me donne juste envie de dire « Oh, mais comment t’es arrivé là toi ? » avec une moue débile.

Et pourquoi des collages ?
Et bien, pour être tout à fait honnête, je suis super nulle en toutes autres formes d’art. J’ai beaucoup de mal à créer à partir de rien et comme je passe un temps fou à regarder des vieux magazines… Ça me semblait tout indiqué.

« Woman with the Good Meat Removed» est à découvrir à la Superchief Gallery de Brooklyn et ce jusqu’au 24 août. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site de Zoe Lingon.