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Culture

Une fausse foire se fout de la gueule du marché de l'art

The Well Fair, de Elmgreen & Dragset, présente des oeuvres qui ne sont pas à vendre et une porte VIP qui ne mène nulle part.
Elmgreen & Dragset: The Well Fair. VIP lounge. Photo: Eric Gregory Powell courtesy of Ullens Center for Contemporary Art

Ces temps-ci, la saison des foires d’art ne semble pas avoir de fin, entre Art Basel Miami Beach en décembre dernier, l'Armory Show de New York en mars et une pelle de cérémonies d’ouverture entre les deux. Mais celle qui s’ouvre au Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) de Pékin est d’un genre nouveau. D’un genre qui se moque gentiment des rouages du monde des foires, réévaluant le rôle du visiteur sur la scène du marché de l’art contemporain.

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Créée par le duo d’artistes Elmgreen & Dragset, « The Well Fair » est une foire imaginaire comprenant tout de même 80 oeuvres réalisées lors des vingt dernières années. Connus pour leurs critiques de problèmes sociétaux, Elmgreen & Dragset explorent le plan social des foires actuelles et les attitudes résultantes des visiteurs.

En raison de ce faux salon VIP et des ses stands inanimés, The Creators Project se devait de parler au duo scandinave pour tâcher de comprendre ce qui se passe à « The Well Fair ».

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Elmgreen & Dragset, The Well Fair. VIP lounge. Photo : Eric Gregory Powell. Publiée avec l'aimable autorisation du Ullens Center for Contemporary Art.

The Creators Project : Bon, à combien de vrais foires avez-vous participé ?
Michael Elmgreen (ME) : Trop, haha ! Nos travaux sont régulièrement exposés dans des foires à l’international, donc on est plutôt familier de ce format. On a eu l’idée de « The Well Fair » durant notre première visite de l’UCCA : le vaste d’espace du Grand Hall pourrait être assez grand pour accueillir une foire.

Mais celle-là est fausse ! Quels aspects des foires d’art contemporains pointez-vous avec « The Well Fair » ?

Ingar Dragset (ID) : Ce titre est un clin d’oeil à notre exposition de 2006, « The Welfare Show » à la Serpentine Gallery de Londres. Cette expo présentait nos travaux dans le contexte d’une série de bureaux administratifs, de halls, et d’espaces institutionnels stériles comme critique du déclin de la qualité de vie en Europe du nord.

ME : « The Well Fair » a à voir avec plusieurs aspects des foires d’art contemporain, y compris le communément accepté plan d’espaces rectangulaires à destination de stands uniformes, ainsi que d’autres éléments qu’on retrouve typiquement dans les foires d’art, comme les espaces VIP et des espaces communs : cafés, librairies, toilettes et point d’information. L’idée est en prolongation de certains de nos précédentes expositions qui jouent sur l’architecture institutionnelle, comme « Taking Place », où nous nous appropriions la rénovation de la Kunsthalle de Zurich comme notre propre exposition, ou notre exposition « Aéroport Mille Plateaux » au Samsung Plateau Museum à Séoul l’été dernier, où nous avions transformé l’espace d’exposition en terminal d’aéroport.

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Elmgreen & Dragset, The Well Fair. VIP lounge. Photo : Eric Gregory Powell. Publiée avec l'aimable autorisation du Ullens Center for Contemporary Art.

Comment « The Well Fair » se présente-t-elle en véritable foire d’art et quelles disparités du marché de l’art actuel et des espaces d’exposition souligne-t-elle ?

ID : Le marché de l’art connaît actuellement une rapide expansion, qui est intrinsèquement liée aux inégalités croissantes de par le monde. Quasiment toutes les grosses villes ont leur foire, et si elles n’en ont pas encore, elles sont probablement en train de penser à en organiser une. La plupart de nos travaux, y compris notre série Powerless Structures, a joué avec cette idée que les structures opèrent sur la base du pouvoir qu’on leur attribue – si certains éléments sont altérés, cela pourrait amener les gens à être plus enclins à changer fondamentalement les structures elles-mêmes. « The Well Fair » rapporte les structures de pouvoir dans le monde de l’art par cette méthode : la foire a un espace VIP, mais qui est totalement inaccessible, comme indiqué par notre oeuvre Plus One, une porte en teck estampillée « VIP », qui a deux poignées mais aucune entrée.

ME : Nous avons aussi étendu le concept de « foire » à l’identité graphique de l’exposition, avec un logo défini, un catalogue destiné à singer celui d’une foire et des cartons « VIP » personnalisés pour tous les invités. Nous avons collaboré avec The Art Newspaper China pour faire un guide d’exposition qui ressemblerait exactement à leurs éditions spéciales de foires, que vous trouvez toujours dans toutes les grosses foires, et le site Artsy a annoncé notre foire comme s’il s’agissait d’une vraie. Nous avions même un service de voituriers VIP pour les premiers jours d’ouverture à l’entrée.

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Elmgreen & Dragset, The Well Fair. VIP lounge. Photo : Eric Gregory Powell. Publiée avec l'aimable autorisation du Ullens Center for Contemporary Art.

Mais toutes les oeuvres exposées dans l’exposition sont les vôtres et sont authentiques.

ME : Oui, l’exposition contient une large vue d’ensemble de nos travaux des vingt dernières années, plus de 80 pièces, dont 70 proviennent de collections de huit pays différents. Ces travaux n‘ont jamais été présentés ensemble de cette manière auparavant. Au UCCA, ils sont disposés groupés en nouvelles constellations, comme si chaque groupe était une exposition à part entière avec ses propres principes narratifs et son atmosphère propre. Par exemple, les murs d’un stand sont peints en noir et contiennent quelques-unes de nos sculptures blanches qui avaient été précédemment exposées dans notre exposition « The Old World » à Hong Kong en 2014. Sur un autre stand, se trouvent des pièces de la série The Named Series, une série de peintures à partir de fresques décollées par un conservateur professionnel sur des murs d’exposition d’institutions comme le Guggenheim ou le Centre Pompidou.

ID : Ces oeuvres sont présentées dans différents états de déballage – certaines sont adossées au mur, certaines sont à demi-déballées, d’autres sont emballées dans du plastique. Tous ces détails interrogent le visiteur, qui se demande si la foire a réellement commencé ou si elle se termine. Cet environnement crée une atmosphère que l’on retrouve dans notre performance du stand DI05, Between Other Events, dans laquelle un peintre peint indéfiniment les murs déjà blancs avec des couches de peinture blanche. Nous essayons de capturer une beauté similaire dans « l’entre-deux » à travers l’exposition.

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ME : Il y a certaines oeuvres, comme Home Is The Place You Left, qui est faite de calligraphie chinoise, qui ont été créées spécialement pour cette exposition, ainsi qu’une partie des décors des parties communes, comme le point d’information, la librairie ou le café. Le personnel du musée est également engagé à agir comme le personnel d’une foire.

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Elmgreen & Dragset, The Well Fair. VIP lounge. Photo : Eric Gregory Powell. Publiée avec l'aimable autorisation du Ullens Center for Contemporary Art.

Donc quelle est la différence entre « The Well Fair » et n’importe quelle foire d’art contemporain que le public visite aujourd’hui ?

ID : L’une des différences majeures réside dans le fait que rien n’est vendu ici. Dans ce sens, nous avons complètement ôté l’aspect commercial de la foire, quelque chose qui en est normalement un élément essentiel. De plus, nous sommes les seuls artistes exposés, ce qui est un moyen d’éliminer la valeur compétitive des oeuvres d’art. Les stands sont seulement étiquetés avec des lettres et des nombres, pas avec des noms de galeries, supprimant de fait ces facteurs aussi. Ce n’est pas possible d’entrer dans l’espace VIP, personne ne peut s’asseoir au bar, les pieds des tabourets étant renversés. Il n’y enfin aucun galeriste occupant les stands !

Qu’avez-vous remarqué d’intéressant chez les visiteurs ?

ID : L’une des choses les plus intéressantes que j’ai observées dans cette exposition c’est combien les visiteurs semblent plus détendus et interagissent davantage avec les oeuvres que lorsqu’ils se trouvent dans une exposition classique. Les musées ont souvent des lignes ou des cordes pour établir une distance de protection avec les oeuvres. Mais dans « The Well Fair », les oeuvres sont présentées comme elles le seraient dans une foire, dans un mélange de mobilier, comme des chaises, des tables et des bancs, sur lesquels les visiteurs peuvent réellement s’asseoir. Les stands créent une sorte d’intimité, où les gens semblent traîner avec aisance.

« The Well Fair » est ouverte jusqu’en avril. Quelle est la suite ?

ME : Notre prochaine exposition institutionnelle, « Powerless Structures » ouvre au Tel Aviv Museum of Art à la fin du mois de mars. Après ça, nous avons quelques gros projets publics de prévus et nous commissionnons une exposition sur la religion et la sexualité à Berlin cet automne. Nous travaillons également sur une exposition personnelle au Nasher Sculpture Center de Dallas pour 2017.

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Elmgreen & Dragset, The Well Fair. VIP lounge. Photo : Eric Gregory Powell. Publiée avec l'aimable autorisation du Ullens Center for Contemporary Art.

« The Well Fair » est au Ullens Center for Contemporary Art jusqu’au 17 avril 2016. Pour en savoir plus, cliquez ici, et pour suivre le travail d’Elmgreen & Dragset, cliquez là.