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Culture

Danse, electronica et chants javanais dans le dernier projet vidéo de Filastine

'The Miner', le premier épisode de la série 'Abandon' montre le quotidien — et la révolte — d’un mineur de Bornéo, en Indonésie.
Captures d'écran de l'épisode The Miner de la série Abandon. Publiées avec l'aimable autorisation de Filastine

Grey Filastine et Nova Ruth sont ce genre de personnes qui ont mille vies, ne tiennent pas en place et ont des projets à gogo. Le premier, né à Los Angeles, a fondé un groupe appelé Infernal Noise Brigade à Seattle en 1999, a été chauffeur de taxi, a vécu dans une dizaine de villes de par le monde, et est aujourd’hui musicien-compositeur-réalisateur-designer. Il s’est posé dans le quartier du Raval à Barcelone, où réside également Ruth. Cette dernière connaît des chants sacrés pentecôtistes, des prières coraniques et sait jouer du gamelan javanais. Elle a fait partie d’un duo de rap appelé Twin Sista à Java, fondé un café-centre d’art à Malang et file souvent des coups de main à des ONG environnementales. Les deux se sont rencontrés en 2010 en Indonésie, d’où est originaire Ruth. Ils collaborent depuis ensemble sur un tas d’autres projets.

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Le dernier en date, sous le nom de scène de Grey, Filastine, est une série de vidéos mêlant musique et danse, Abandon. L’idée : “la libération par la danse de travaux et tâches aliénantes”. Dans les quatre épisodes de la série, on suit des personnages figurant une condition “aliénante” : un mineur (à Bornéo et Java), une femme de ménage (à Lisbonne), un employé de bureau (à Seattle), des migrants ferrailleurs (à Barcelone). Le premier épisode, The Miner, dirigé par le réalisateur indonésien Astu Prasidya, est sorti sur Youtube le 29 mars dernier.

On suit un mineur, interprété par le danseur indonésien Al Imran Karim, dans les mines de soufre de Kawah Ijen à Java, sur une electronica expérimentale où s’enchevêtrent des percussions obtenues à partir de chants d’insectes et de gamelan (ensemble instrumental traditionnel javanais) et la voix de Nova, entre chant et cris. Plongez-vous dans le premier épisode, ci-dessous :

The Creators Projects : Salut Grey et Nova. Pouvez-vous nous dire d’où vient ce projet ?
Grey Filastine : C’est une étude dans la ville en tant qu’éco-système humain, une exploration des frictions et hybridations culturelles, des tensions et du stress d’une civilisation de plus en plus urbanisée et déconnectée de la nature. À ces fins, nous utilisons le son, l’image, la performance et même des interventions dans l’espace public.

Comment avez-vous choisi les endroits et les personnages des quatre épisodes d’Abandon ?
Nova Ruth : J’étais à la South East Asian Anti Coal Conference à Samarinda, à Borné, organisée par un groupe appelé Jatam, et ils nous ont emmenés dans ce qu’ils appellent un “voyage toxique”, où l’on peut voir les mines de charbon illégales et parler avec des locaux des effets des mines sur leurs vies. J’ai pris une vidéo d’un bateau transportant du charbon sur le fleuve de la ville et je l’ai envoyée à Grey. Avec cette vidéo, et les contacts que je me suis fait durant l’excursion, nous avons décidé que ce serait l’endroit idéal pour filmer The Miner.

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GF : Chaque lieu se présente lui-même à nous, même si une fois que nous avons choisi la destination et les participants, nous devons attendre que les tournées nous y mènent. Par exemple, pour filmer The Miner nous avons attendu d’avoir une tournée en Australie, pour faire étape en Indonésie sur le trajet. Pour l’épisode deux, The Cleaner, j’ai d’abord trouvé la danseuse et ensuite discuté des différentes options pour son personnage, nous nous sommes retrouvés à filmer à Lisbonne, au Portugal. Le troisième épisode est tourné dans un bureau anxiogène pendant la fin des années 90, avec des danseurs butoh. Celui-ci était délicat cr nous avions besoin d’un bureau à l’apparence normale, avec le mobilier, les ordinateurs de cette époque, que nous pouvions détruire complètement. Le seul endroit que je connaissais avec une communauté de danseurs butoh et de bureaux prêts à être démollis était Seattle. Le quatrième reste encore à filmer mais va mettre en scène des ferrailleurs à Barcelone, principalement des immigrés africains sans papiers qui traînent les nuits comme des fantômes exclus de la société.

Comment en êtes-vous arrivés à collaborer avec Astu Prasidya et Al Imran Karim pour The Miner ? Pouvez-vous nous les présenter ?
NR : J’ai rencontré Astu Prasidya à l’une des expositions alors que nous cherchions un réalisateur pour Colony Collapse [un de leurs clips, sorti en 2012]. Il est l’un des vidéastes les plus actifs de Malang. Nous venons du même milieu et nous avons joué dans un groupe, Ajér. Al Imran Karim s’est pointé à un de nos concerts à Jakarta il y a quelques années et a demandé à danser sur scène sur l’une de nos chansons, il avait même préparé une chorégraphie. C’était génial, ça donc été la première personne que nous avons contacté quand nous avons eu l’idée de la série Abandon.

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Comment avez-vous filmé le premier épisode ?
GF : Honnêtement, filmer The Miner a été un peu dingue. Les mines sulfuriques se trouvent dans le cratère d’un volcan plein de gaz empoisonnés d’un lac d’acide. Nous avons bénéficié de la coopération d’ouvriers grâce à des amis de Nova. Nous avons du nous rendre deux dois à Bornéo pour les mines de charbon, nous avons d’abord essayé dans des mines contrôlées illégalement par une sorte de mafia, où la milice d’un fermier local luttant contre les mines a pris notre défense contre les sbires de la compagnie. Mais nous avons eu beaucoup de problèmes pendant ce tournage et n’avons pas pu utiliser les images. La seconde fois à Bornéo nous avons utilisé une autre tactique, on s’est déguisés avec des uniformes de la compagnie, on s’est glissé à l’intérieur du site et nous avons filmé au moment où les ouvriers déjeunaient. Dans chaque cas, nous tournons en comité restreint et n’utilisons qu’une caméra.

Comment élaborez-vous vos épisodes : partez-vous d’une vidéo et construisez ensuite la musique, ou inversement ?
GF : Notre méthode est de faire germer une chanson, juste une courte mélodie qui pose le tempo, le rythme, l’ambiance, pour la vidéo et la chorégraphie. On laisse ensuite la composition musicale de côté jusqu’au tournage, donc les séquences peuvent avoir une influence sur le développement de la chanson. À partir de là, le montage de la vidéo et la composition de la chanson progressent en parallèle. Abandon n’est pas des chansons avec des clips promotionnels, mais plutôt une série préméditée de singles audiovisuels où chaque épisode est une fusion cohérente entre le son et l’image. Cela pose la question de la distribution et du partage d’Abandon, puisqu’il ne correspond pas aux formats habituels de l’industrie musicale et nous ne voulons pas nous enfermer dans la tour d’ivoire de l’art en la diffusant uniquement en galeries ou musées.

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D’où viennent les sons que nous entendons dans The Miner ?
GF : La plupart des sons sont d’origine acoustique, ils sont nés dans le monde réel et ont été enregistré avec un micro, mais une fois qu’il passe par l’ordinateur, ils sont coupés, filtré et arrangés. Il y a également quelques sons concrets reconnaissables, par exemple des bruits d’insectes transformés en notes. Et bien sûr, les percussions sont essentielles au vocabulaire de la musique électronique, avec des kicks de Roland 808.

NR : La plupart des idées de chant sont issues de mes expérimentations avec des effets de réverbération. La moitié des paroles sont en javanais, l’autre moitié en anglais. Vous pouvez entendre à plusieurs reprises le mot “plong”, qui signifie soulagement, un sentiment que l’on a lorsque l’on se débarrasse d’un fardeau.

Quelle est votre relation à la danse ? Au-delà de la métaphore de la libération physique et politique du corps, quel message délivrez-vous à travers ce projet ?
GF : Ma relation personnelle à la danse a été un échec une bonne partie de ma vie ! Comme beaucoup de compositeurs, j’hyper-intellectualise la musique, interprétant la musique dans mon esprit plutôt qu’avec mon corps. Très tard dans ma vie, j’ai finalement découvert un moyen de connecter les circuits de la musique et de mon propre corps lorsque j’ai commencé à pratiquer la capoeira.

NR : J’ai été éduquée dans une école Tamansiswa plutôt révolutionnaire, un système éducatif développé en 1922, qui enseigne à 60-70% la culture javanaise dans les programmes. Donc pendant six années entières j’ai appris à chanter, danser et jouer de la musique chaque jour. Plus tard, j’ai réalisé que mon corps se meut automatiquement lorsque je suis sur scène, probablement grâce à cette éducation.

GF : Nous utilisons la danse dans la série Abandon comme moyen de communication sans parler, un langage plus vieux que les mots. Il y a peu d’ambiguité dans le message de The Miner : le refus du personnage de coopérer à nouveau dans un environnement de travail qui est catastrophique écologiquement et aliénant sur le plan personnel. L’une des inspirations pour la série est une vieille histoire, heureusement vraie, qui raconte comment des colons européens ont abandonné leur village en Amérique du nord et leur projet entier de colonisation, pour rejoindre des indigènes, laissant une note d’adieu aux autres Européens qui disait simplement “partis pour Croatan” [une région dans l’actuelle Caroline du nord].

Nova Ruth (à gauche) et Grey Filastine (à droite), les deux membres de Filastine. Photo : Miguel Edwards

Pour en savoir plus sur Filastine et guetter les prochains épisodes d'Abandon, cliquez ici.