FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Dans l’un des plus anciens département de restauration des États-Unis

Comment sauver George Washington ou des rouleaux de papyrus ? Les restaurateurs du Brooklyn Museum nous ont donné tous leurs secrets.
Image de Une : Laboratoire de restauration de peinture du Brooklyn Museum. Au centre, le portrait de George Washington de 1776 par Charles Willson Peale. Sauf mention contraire, toutes les photos sont de l'auteure.

Derrières les portes closes d'institutions d'art des quatre coins de la planète, se cachent des machines à remonter le temps et autres chambres d'investigation. On y voit ressortir de ternes chefs-d'œuvre aussi éclatants qu'à leurs premiers jours ; on y perce des secrets de maîtres ; on y met à jour des compositions secrètes planquées dans de célèbres toiles. The Creators Project vous fait entrer dans ces laboratoires de restauration.

Publicité

Lorsque j'arrive au Brooklyn Museum, à New York, un lundi matin de bonne heure, les restaurateurs et apprentis passent en revue les travaux de la semaine passée, se répartissant les tâches tout en continuant à faire leurs recherches, nettoyer et restaurer les différents objets de l'impressionnante collection du musée. Il semblait y avoir un travail en cours dans le moindre recoin du laboratoire. « Nous travaillons sur dix choses différentes à la fois », commente la restauratrice-en-chef Lisa Bruno. Et c'est comme ça depuis près d'un siècle : le département a ouvert en 1934, l'un des plus anciens des États-Unis.

En marchant à travers les différents espaces, on a un aperçu des nombreuses spécialités des restaurateurs : tissu par ci, céramique par là, peinture un peu plus loin ou supports papier dans le fond. Bruno est affairée sur un morceau de tissu d'un costume bolivien du XVIIIe siècle, d'un danseur de morenada. Avec un pistolet à rayons X fluorescents — un peu « comme un pistolet laser » — Bruno a pu identifier les fils en cuivre, et même une légère platine d'argent.

Ci-dessus : costume de danseur bolivien du XVIIIe siècle ; ci-dessous : vue au microscope de fils couverts de cuivre et plaqués argent. Photos : Brooklyn Museum.

L'un des côtés du costume est clairement moins terne que l'autre, et Bruno est en train de déterminer si quelqu'un, à un moment ou à un autre, a essayé de le nettoyer, ou si ce côté-là a juste été exposé à des éléments. Le nettoyer risque cependant de lui faire plus de mal que de bien : le risque d'enlever le placage d'argent est trop élevé, tout comme celui d'endommager le carton, sous les fils, qui donne la structure au vêtement.

Publicité

Céramique islamique du XVIe siècle en cours de restauration,dont certains morceaux sont empaquetés pour nettoyage.

Sur une autre table, une céramique islamique du XVIe siècle demande beaucoup moins de précautions : Victoria Schussler, spécialisée en restauration d'objets, est occupée à enlever des tâches sur les bords de la céramique, dues à une réaction à une restauration antérieure, et pallier une corrosion de raccords métalliques ajoutés à la fin du XIXe siècle. « La poterie et le métal ne font pas toujours bon ménage », note-t-elle, tenant dans sa main un morceau de l'objet qu'elle va blanchir au décolorant — « le genre utilisé pour le blanchiment des dents ».

Fragments aplatis de papyrus

Plus loin, la restauratrice papier, Elyse Driscoll, se tient devant plusieurs objets devant lesquels est sciemment indiqué « Œuvres en dessous — ne pas enlever ». Sous une large feuille de papier, elle dévoile des fragments cornés et déchirés de papyrus. Quelques semaines plus tôt, un restaurateur du Musée égyptien de Berlin leur a rendu visite dans le cadre d'une initiative de l'Union européenne, pour rassembler les fragments d'une papyrus d'Éléphantine, une île sur le Nil, qui avaient été dispersés entre Berlin, le Louvre et le Brooklyn Museum.

Rouleaux de papyrus avant traitement. Photo : Brooklyn Museum

Pour résoudre ce puzzle transatlantique, un maître mot : la patience. Au Brooklyn Museum, les restaurateurs ont trouvé dans une boîte 502 fragments, qui supportent les écrits de cinq scribes et appartenant clairement à des manuscrits différents. En testant plusieurs méthodes pour dérouler les rouleaux, certains ont subi quelques dégâts. « Nous avons fini par utiliser un humidificateur bricolé avec un tuyau d'arrosage, pour humidifier zone par zone au fur et à mesure que nous le déroulions. Ça a bien mieux marché, explique Driscoll. Une fois aplati et stabilisé, les morceaux rescapés et assemblés ont fini par ressembler à un tout un peu plus cohérent.

Publicité

Les restauratrices humidifient le papyrus pour le dérouler. Photo : Brooklyn Museum

Dans une autre salle, le laboratoire de peinture, plusieurs toiles ont été disposées sur des chevalets, en attendant d'être restaurées. « Tu veux lui montrer George ? » demande Bruno à la restauratrice peinture Lauren Bradley. « George est plutôt chouette — c'est une lourde tâche », ajoute-t-elle, en se tournant vers moi. Le George en question est un grand portrait de George Washington par Charles Wilson Peale, commandé par John Hancock en 1776. Bradley a eu la tâche délicate d'enlever cinq couches de vernis. « Il a eu toutes les restaurations possibles et imaginables. Le ciel n'avait presque pas de teinte de bleu, il était vraiment vert », explique-t-elle.

Coin bas gauche du portrait de George Washington, où l'on décèle une étrange représentation de canne et des zones où le vernis doit être enlevé.

D'autres défis attendent encore la restauratrice. Bradley essaie de comprendre pourquoi la canne du président est tordu si bizarrement dans le coin gauche du bas du tableau. En faisant une comparaison avec une autre version de la toile dans la collection de la Maison blanche , elle a réalisé que celle du musée est écourtée, comme si une partie manquait à la composition entière. D'autres indices à la surface de la toile semblent indiquer qu'elle a peut-être été coupée à cause de dommages, et qu'une partie de la canne a pu être recouverte durant une restauration antérieure. Que faut-il donc faire ? Les restaurateurs sont formés à prendre ces choses à précaution. « La peinture doit toujours être nettoyée entièrement, on espère donc qu'un autre indice nous aidera à prendre la bonne décision », répond Bradley. « Mais ça n'arrive pas toujours. Dans ce cas, on en discute avec le conservateur… On vous tient au courant. »

Publicité

Laboratoire de restauration de peinture

Table à outils

Anciens chevalets pour restaurer des toiles

Sécurité avant tout à l'atelier soudure

Pour en savoir plus sur le Brooklyn Museum, cliquez ici.

Retrouvez les précédents articles de la rubrique Laboratoire de restauration :
Il n'y a rien de plus fascinant que du tissu passé au microscope
Il faut sauver les œuvres d'art informatisées avant qu'il ne soit trop tard
Faut-il sauver l'art éphémère ?