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Culture

Comment garder l’art cinétique en mouvement

La conservatrice Lydia Beerkens nous a raconté comment elle empêche les œuvres d’art cinétique de devenir des natures mortes.
Image de Une : Jean Tinguely, Gismo, 1960. Photo : Gert Jan van Rooij. Collection Stedelijk Museum Amsterdam, c/o Pictoright Amsterdam, 2016.

Derrières les portes closes d'institutions d'art des quatre coins de la planète, se cachent des machines à remonter le temps et autres chambres d'investigation. On y voit ressortir de ternes chefs-d'œuvre aussi éclatants qu'à leurs premiers jours ; on y perce des secrets de maîtres ; on y met à jour des compositions secrètes planquées dans de célèbres toiles. The Creators Project vous fait entrer dans ces laboratoires de restauration.

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Quand une œuvre d'art cinétique a besoin d'être restaurée, il y a toujours débat. Car il n'est pas seulement question de savoir si l'objet peut être réparé ou non, mais s'il faut le restaurer. Est-il trop fragile ? Est-ce qu'utiliser son moteur trop longtemps l'abîme ? Et surtout, est-ce que son mouvement est essentiel — cette œuvre a-t-elle un sens si elle reste figée ?

« Une sculpture-fontaine de Niki de Saint Phalle devrait diffuser de l'eau, mais les sculptures sont très colorées et parlent pour elles-mêmes », estime ainsi la restauratrice néerlandaise d'art moderne Lydia Beerkens. « Mais des œuvres cinétiques en boîtes ou reliefs, ou les œuvres lumino-cinétiques du Gruppo T (Grazia Varisco, Gianni Colombo…) ont vraiment besoin de leur mouvement, sinon on n'y verrait que des cadres ou des boîtes noires. »

Après recherches et délibérations, les restaurateurs établissent un plan d'attaque en concertation avec les conservateurs. À l'inverse de cette phase préliminaire, « l'étape finale, la restauration peut parfois consister en une courte intervention », commente Beerkens. Après nettoyage, retouche et documentation de l'œuvre, les restaurateurs font aussi appel à d'autres experts : des mécaniciens et des électriciens qui vient réparer les moteurs et les connexions défectueuses.

Pour sa part, Beerkens donne des conférences, aux Pays-Bas et à l'étranger, sur la conservation d'art cinétique, et a étudié et restauré plusieurs œuvres de Jean Tinguely, Woody van Amen, Martha Boto, László Moholy-Nagy ou encore Marta Pan. En amont de la rétrospective Jean Tinguely qui ouvre le mois prochain au Stedelijk Museum, à Amsterdam, Beerkens a fait partie du comité d'experts invités à conseiller la conservation des machines.

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Woody van Amen, Sex Bomb (recto et verso). Lydia Beerkens a réparé l'œuvre à l'aide d'un mécanisme cyclique mais le moteur était trop faible pour fonctionner pendant des heures — elle était donc activée cinq minutes par jour pendant une exposition.

Dans une étude de l'œuvre Gismo de Tinguely (1960), publiée dans Modern Art: Who Cares? en 1999, Beerkens notait : « La machine est censée avoir l'air bancal et branlant lorsqu'elle bouge : il en a toujours été ainsi — les tiges grossièrement soudées doivent grincer et couiner. » On doit donc y penser à deux fois avant de graisser les roues : « améliorer » la machine n'est pas toujours le but recherché.

Dans le cas de Gismo, ces couinements sont un élément essentiel à préserver, non seulement parce qu'"il en a toujours été ainsi" mais aussi parce qu'ils modifient l'expérience du public. Beerkens a ainsi enregistré les impressions d'un groupe donné, qui a attribué l'expressivité de l'objet à son « impression alerte », son « caractère improvisé, spontané et personnel » et ses sons caractéristiques. « L'un d'entre eux est même prêt à identifier l'œuvre à un objet vivant », notait la conservatrice.

Exposition "Rörelse i konsten" au Moderna Museet, Stockholm, 1961, avec Le Cyclograveur de Jean Tinguely (1960). Photo : Lennart Olson / Pictoright Amsterdam

L'étude concluait que « Gismo doit bouger, sinon il ne "vit" pas ». Ses 31 roues bougent aujourd'hui avec bonheur au Stedelijk Museum. Certaines œuvres n'ont pas cette chance. Si l'une d'entre elles est jugée trop fragile, ou si certaines parties ne peuvent as être réparées ou remplacées, elle part à la retraite. Dans certains cas, des répliques — souvent approuvées par la famille ou la fondation de l'artiste, comme le dit Beerkens — peuvent exposées à la place des originaux. C'est le cas de Standing Wave (1919-1920) de Naum Gabo à la Tate Modern de Londres, par exemple. Et si des vidéos des œuvres en mouvement sont parfois disponibles, une œuvre peut aussi être exposée sous forme de relique, vestige de sa vie passée.

Vous pouvez voir des œuvres cinétiques en mouvement ci-dessous :

« Jean Tinguely, Machine Spectacle » est à voir au Stedelijk Museum, à Amsterdam, jusqu'au 5 mars 2017. Pour en savoir plus, cliquez ici — et pour voir des œuvres de Jean Tinguely en mouvement.

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