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Je suis professeur d'arts plastiques au collège et non, je ne suis pas un artiste raté

L'art n'est pas une compétition mais une vocation, François-Henri Galland a trouvé la sienne, il peint et enseigne l'art à des ados.
Dans Ghost World un cliché du professeur d'art plastique à mille lieues de François-Henri Galland.

On a tous des souvenirs, bons ou mauvais, de nos cours d’arts plastiques au collège. Que ce soit par ce qu’on se demandait ce qu’on foutait là, ou parce qu’on tentait de trouver un sens à ce satané barème de notation, ou encore parce que, peut-être, c’est à cette époque qu’on a pris goût au dessin. Pourtant, le prof d’arts plastiques de collège a mauvaise presse. Dans l’imaginaire collectif de tout ceux qui ont étalé un jour de la gouache sur des feuilles Canson en 5eB, le professeur d’arts plastiques au collège n’est pas un artiste, c’est même sûrement un artiste raté.

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Comme tout ce qui sort de l’imaginaire collectif, il y avait de grandes chances que ce soit faux. Aussi on a demandé à François-Henri Galland, qui n'est autre qu'un artiste doublé d'un professeur de nous raconter son parcours, son travail et ses travaux

« L’art n’était pas mon premier choix de carrière. Notre histoire a commencé dès mon plus jeune âge. Mon enfance s’est déroulée sans encombre dans un monde décalé, bloqué dans les années 50, à Madagascar plus précisément. Mon père était ingénieur agronome là-bas, nous y sommes restés pendant 12 ans, de 1975 à 1987. Ma vie était à Tananarive. Ma scolarité se poursuivait au lycée français de Tananarive. Un cours d’art plastique figurait dans le cursus. Il n’était pas très poussé, il relevait plutôt d’un cours d’arts appliqués. Tous mes travaux étaient réalisés à l’encre de chine pendant un cours d’une cinquantaine de minutes. Bien souvent, un coquillage était notre modèle. Tous les élèves devaient le dessiner, sans user d’aucun artifice dans la représentation.

À 12 ans, l’art m’intéressait. Je lisais un tas de revues, dont L’Œil. À travers toutes ces lectures, j’ai fait de multiples découvertes : le design  dans Le Décor d’aujourd’hui ou encore le mobilier des années 80 dans Paris Match. Malgré mon jeune âge, je montrais un intérêt évident pour ce genre d’œuvres. À  15 ans, aucun signe ne me destinait pour autant à une carrière d’artiste, ni à celle d’un professeur d’arts plastiques. Jamais, je ne me serais imaginé dans la peau d’un enseignant au collège. Toutefois, même si le dessin n’était pas mon fort à l’époque,  je gribouillais beaucoup dans mes cahiers. J’y représentais un monde fictif, avec des maisons, des meubles, des objets et des vêtements, sortis tout droit de mon imagination. Mon rêve était de devenir un architecte en dépit de ma lacune en dessin. Mais des obstacles se sont mis en travers de ma route.

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Un professeur d’arts plastiques à part entière - DR

Mon parcours scolaire a été sinueux, et ce, malgré moi. Mon objectif était d’entrer dans une école d’architecture, d’atteindre enfin mon but ultime. Mais mes espoirs ont été balayés. Dans ce type d’établissements, les élèves avec un profil scientifique étaient favorisés. Avec ma formation littéraire, mes chances étaient réduites. À l’aube de mes 19 ans, la licence en arts plastiques de  l’Université Bordeaux III s’est donc imposée comme second choix. Là-bas, un professeur m’a appris qu’un étudiant avec un profil littéraire avait autant de chance qu’un autre dans une faculté d’architecture. Cette révélation n’a pas changé mes projets. Mon rêve persistait. Dans l’espoir d’arriver à ce stade-là, j’ai commencé une formation de charpentier. Un métier plus manuel qui n’était qu’un raccourci pour arriver à mes fins. Parallèlement, des brocanteurs me demandaient mon aide pour identifier des œuvres des années 50 et 60. À ce moment-là, j’envisageais d’être un expert en mobilier du 20ème siècle. Les magazines que j’ai consultés quand j’étais à Tananarive, ont aiguisé ma connaissance de l’art. Une fois mon diplôme en poche en 1999, quelque chose me manquait. Un savoir inestimable. Le savoir du dessin. À 33 ans, j’ai commencé à prendre des cours de dessin à la Ville de Paris, sous la direction de Suzanne Gilde. Une décision qui a changé ma vie, vu que deux ans après, je me lançais dans le milieu artistique.

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Mon métier ne se limite pas à mon statut d’artiste. Je suis également un professeur au collège Pierre-Jean de Béranger et au collège Paul Valéry. Depuis une quinzaine d’années, j’enseigne les arts plastiques à des adolescents, et ce, de différentes façons : le crayon, l’écriture, le papier, la peinture ou encore la vidéo.  Au fil du temps, enseigner est devenu ma vocation, au même titre que celle d’artiste. Chaque jour, un élève me surprend, que ce soit par une de ses questions ou son travail. Comme l’art, chacun d’entre eux est en constante évolution, unique en son genre. Mais travailler avec des adolescents de 11 à 14 ans s’avère parfois épuisant. Il faut être capable de gérer une classe de trente étudiants de manière collective et individuelle, ou encore de maîtriser les sautes d’humeur liées à la crise d’adolescence. Enseigner reste tout de même une expérience enrichissante, la mienne.

L’art ne trouve pas toujours grâce aux yeux de la jeune génération. Au collège Pierre-Jean de Béranger, la majorité de mes classes y était réceptive à mon grand soulagement. Au collège Paul Valéry, par contre, l’enthousiasme n’y était pas. J’essaie de les initier, de leur faire apprécier les belles choses. Mais il y a un temps où je capitule. Dans mon cours, chaque élève a une certaine liberté. Il peut s’exprimer avec le support et la technique de son choix. Il ne doit pas le comparer à un cours de dessin. Il peut très bien me proposer une photographie, une vidéo ou un texte. Une telle production vaut parfois mieux qu’un mauvais dessin. Même si des gamins sont très doués, j’ai conscience qu’il y en a qui ne s’orienteront jamais vers une option artistique. Leur niveau n’est pas le même, ce qui ne veut pas dire que ceux qui sont mauvais en dessin auront des mauvaises notes. Si l’élève en question fait des efforts, je vais tout faire pour qu’il ait sa moyenne. L’anatomie, par exemple, est un véritable problème pour certains. Ces derniers représentent un petit corps avec une énorme tête. Ils ont vraiment des difficultés  avec les bras, le corps, les mains, les pieds et les yeux. En 55 minutes de cours par semaine, il est compliqué de leur apprendre tous les rudiments des arts plastiques. Sur leur emploi du temps, mon cours passe inaperçu.

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Quand une de mes anciennes élèves du collège Jules Romains m’a contacté, j’étais nostalgique. Dans sa lettre de motivation pour une école d’art belge, elle m’a cité. Il semblerait que je sois celui qui l’a poussée à embrasser cette voie. Son message m’a très touché. Aucun de mes étudiants actuels ne m’a confié qu’il voulait se lancer dans cette branche jusqu’à présent. Mais certains ont du potentiel. Quand ils préparent leur travail, je le remarque à chaque fois. L’un de mes sujets pour les troisièmes du collège Pierre-Jean de Béranger, est de prouver l’existence des extraterrestres. Chacun a son interprétation. Certains vont s’inspirer de dessins animés, de films ou de YouTubeurs. Ils ont une culture très riche. Récemment, un groupe m’a surpris. Âgés de 13 ans, Antonin, Fivos et Joseph ont proposé une forme extraordinaire avec leur fluide non newtonien. Ils ont placé une mixture de maïzena et de peinture au-dessus d’un téléphone portable, relié à une enceinte. Un résultant scotchant en vidéo.

Marguerite et Rose, elles, ont opté pour une représentation  plus classique, qui n’en reste pas moins originale. À une photographie d’une soucoupe volante, les fillettes ajoutent un avis de décès qu’elles ont rédigé. Cette référence est souvent appréciée par les élèves. Généralement, ils s’en inspirent pour fabriquer une maquette. Ils la photographient ensuite dans plusieurs endroits du collège.

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Au collège, les travaux sont très contemporains, à l’opposé de mes croquis personnels. Mes premiers pas étaient avec de l’encre de chine, un rappel inconscient à Madagascar en quelque sorte. Pendant un temps, le noir et le blanc étaient mon moyen d’expression, toujours sur du papier. Puis, la couleur a commencé à me faire de l’œil. Je voulais aller vers plus de douceur. J’ai commencé à mélanger de l’encre de chine avec beaucoup d’eau, pour finalement abandonner complètement le noir. Désormais, je fais essentiellement des aquarelles. Mon art évolue. Tantôt, il est un peu torturé avec des représentations de personnes en pleine guerre. Tantôt, il cherche de la douceur avec des corps enlacés. Chacune de mes toiles est animée par le désir et la passion. En 2013, une de mes œuvres, un couple rose, m’a permis d’être repéré par une galerie d’art en ligne, Saatchi Art.  Sur les réseaux sociaux, elle a eu  aussi son petit succès.

Mes vacances sont consacrées à mes projets. Suite au couple rose, une série de combats roses s’est progressivement formée. Parfois, le couple s’embrasse. Parfois, il lutte. Mes œuvres poussent à la réflexion. Pour le plaisir, j’ose faire quelques portraits de mes connaissances sur Facebook, Alexandre notamment. Le mannequin Kate Moss est l’une de mes « victimes », je m’en excuse d’ailleurs. Montrer son travail lors d’un vernissage ? C’est un calvaire, très peu pour moi ! J’ai trouvé mes seules vocations, j’adore enseigner et peindre ! »

Un portrait en cachette - DR

Retrouvez les créations de François-Henri Galland sur son site.