L’expo Magritte, vue par les gardiens de Beaubourg

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Culture

L’expo Magritte, vue par les gardiens de Beaubourg

Ils sont là. Ils vous disent de faire moins de bruit. Et ils voient bien plus d’expositions que vous. Du coup on leur a demandé leur avis.

En cherchant bien, on doit bien pouvoir trouver quelqu'un qui connaît pas du tout René Magritte. Mais je suis sûre que tout le monde a déjà vu au moins une fois dans sa vie une des œuvres du peintre surréaliste belge. On trouve des reproductions dans à peu près tous les magasins d'affiches ou de cartes postales, chez beaucoup — trop — de médecins et il est quasiment impossible d'avoir échappé aux nombreux détournements dont a fait l'objet sa Trahison des images de 1928 : vous savez, ce tableau (oui, c'est un tableau à la base) où est peint une pipe et écrit « Ceci n'est pas une pipe » juste en dessous. Ce cher Magritte, donc, fait donc actuellement se déplacer quelque 5000 bougres tous les jours au Centre Pompidou.

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Tous ces gens ont des avis, parfois drôlement intelligents, régulièrement débiles et, pour la grande majorité, assez vagues sur l'œuvre de Magritte. Ce qui est certain, c'est que tous vont en parler. Parce que ça sert à quoi de voir des expos si personne ne sait que vous avez vu des expos ? Au milieu de tout ça, tels des justiciers dans la ville, dans l'ombre, dans les coins et sur les chaises en plastique de tous les musées du monde — Beaubourg n'y faisant pas exception — on trouve des gardiens d'exposition. Ils sont là, silencieux et immobiles. Ils vous disent de faire moins de bruit et empêchent vos enfant de colorier un Kandinsky. Ils voient plus d'expos que vous n'en verrez jamais. Et pourtant ils ne la ramènent pas. Du coup, on leur a demandé ce qu'ils en pensaient.

Un vieux monsieur qui prend en photo "La Trahison des images" (1929)

« Les gens sont gênés ou en colère quand ils ne comprennent pas »

Dumile est assis juste à droite de la Lecture défendue lorsque je lui demande s'il veut bien me donner son avis sur l'expo. Il me répond poliment qu'il n'y voit pas de problème mais qu'il est nouveau au Centre Pompidou et absolument pas familier de l'œuvre de Magritte. En discutant un peu, j'apprend néanmoins que l'intérêt partagé pour la philosophie du gardien de 35 ans avec le peintre surréaliste l'amène à observer les œuvres avec attention. « Je cherche à comprendre pourquoi ça ne me parle pas. Comme cette peinture », dit-il en me désignant Le masque vide. J'en profite pour l'interroger sur la peinture qui se trouve à sa gauche. « Je pense que ça rappelle la caverne de Platon. Les murs de couleur terre qui évoquent la grotte, le doigt qui représente l'humain, la vérité — les humains savent une certaine réalité, une certaine vérité. »

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"Le masque vide" (1928)

Suis-je la seule à solliciter son avis ou sa supposée expertise ? Plus ou moins. « Les gens ne me demandent pas forcément mon avis. J'ai parfois envie de savoir le leur mais je ne veux pas être intrusif. Par contre, l'autre jour, un visiteur espagnol m'a demandé ce qu'était cette œuvre [il pointe du doigt La Trahison des images, exposée un peu plus loin dans la salle qu'il surveille], je lui ai fait part de mon interprétation mais j'ai lu de la déception sur son visage — la déception de ne pas comprendre. » Dumile aime observer les visiteurs pour deviner leurs réactions. « Ils y en a qui sont en colère ou gênés parce qu'ils ne comprennent pas. Il y en a qui s'exclament "ah, ça c'est bien !". Il y a aussi des parents qui amènent leurs enfants et qui leurs expliquent. Les enfants sont intéressés, en général. Mais j'ai remarqué que le public est plutôt âgé. » Quand je lui demande d'où viendrait cette gêne chez les visiteurs, il me répond : « Les gens savent que Magritte était philosophe alors ils sont intimidés, ils se sentent inférieurs en quelque sorte. Dans la première salle, il y a une liste de "problèmes". Ça effraie peut-être les gens qui pensent qu'ils doivent résoudre quelque chose. » Il estime que les œuvres gagneraient sans doute à avoir un cartel plus explicatif.

Une dame qui médite devant "L'arbre de la science" (1929)

« Magritte ne doit pas être pris au sérieux »

Dans la première salle justement, où se trouve les fameux « problèmes » — des « équations visuelles » auxquelles Magritte répond par la peinture —, se trouve Amadis, 26 ans. L'étudiant en cinéma, surveillant de salle à temps partiel à Beaubourg depuis mai dernier, m'avoue tout de suite ne pas être très réceptif à l'œuvre de Magritte. « Je trouve ça trop répétitif. Ça me parle seulement quand il y a un message caché. » Je lui demande s'il n'y a pas quand même un tableau qui lui évoque quelque chose. Il parcourt la salle des yeux et me désigne du menton Le Chant de l'Orage. « Celle-là peut-être… Ça m'évoque la tranquillité », dit-il sans grande conviction. « Je ne prends pas Magritte trop au sérieux. Mais je ne pense pas que ça doit être pris au sérieux, justement. »

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J'évoque alors les théories philosophiques du peintre, et Amadis sourit. « Tout peut être justifié, si on va par là. Ces tableaux sont dans un musée, donc les gens les apprécient. Et comme tout, il y a un effet de mode. Les gens se disent peut-être aussi que c'est rare d'avoir autant d'œuvres réunies d'un coup. » Pour sa part, le jeune homme n'a pas beaucoup d'interaction avec les visiteurs. « Oh ben, je suis comme cette chaise : invisible. Les gens ne me parlent pas, ne semblent même pas me voir. J'ai juste remarqué une femme l'autre jour, qui s'est retourné à plusieurs reprises pour m'observer, je n'ai pas trop compris pourquoi… » S'il ne parle pas et ne se pose pas trop de questions sur les œuvres, comment occupe-t-il donc son temps ? « Je médite », répond Amadis du tac au tac, le sourire en coin.

Un monsieur qui a tenu à ce que je le photographie "en train de photographier un tableau", ici "L'ellipse" (1948).

« On voit qu'il est marrant Magritte, quand même »

Quand je repasse dans la salle où se trouvait Dumile, je tombe sur Marcella. Plutôt disert, elle est tout à fait OK pour me parler de l'exposition mais choisit de ne pas me donner son vrai prénom. Cette ancienne prof et sculptrice de 62 ans travaille au Centre en qualité d'« agent d'accueil et de surveillance », comme elle me le précise, depuis 40 ans. Elle peut donc comparer l'exposition avec la rétrospective que le musée avait accordé à Magritte en 79. « Je n'ai pas d'avis absolu, il évolue au fil du temps. La deuxième fois que j'ai vu l'expo, je me suis dit que celle-ci est trop organisée. Mais ça marche bien au niveau du flux des visiteurs. Et l'expo est un succès, il y a la queue. » Elle continue : « C'est toujours amusant de voir quel public draine un artiste. Les signaux de Magritte attirent, ils attirent les vieux. Mais je pense que ça plaît à plein de gens. »

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À gauche, "L'évidence éternelle" (1930) ; à droite, une autre version du "Masque vide" (1928).

Quand j'en viens à ses goûts à elle, Marcella me répond d'abord qu'elle aime pratiquement tout en art. Les œuvres de Magritte lui parlent, c'est sûr. « Il y a toujours quelque chose qui m'accroche », dit-elle, avant d'évoquer Le masque vide que Dumile trouvait trop obscur. « J'aime beaucoup celle-ci, avec le tableau à l'envers. C'est l'image opposée aux images. » Elle désigne ensuite une grande toile de 1964, Ceci n'est pas une pomme. « Celle-là est fascinante, avec son cadre classique. C'est un très beau tableau. » Et d'ajouter : « On voit qu'il est marrant Magritte, quand même. »

Marcella me précise qu'elle n'aime pas s'ennuyer. Elle dit réfléchir à « comment une œuvre pourrait être mieux, pas mieux… » Son rapport aux visiteurs est différent de celui de mes deux premiers interlocuteurs. « Les gens viennent me parler, oui. Il y en a même qui me disent "ah vous êtes sympa, je vous donne ma carte", etc. » Je lui demande si elle déjà observé des réactions inhabituelles chez les visiteurs. « J'en ai vu qui prient devant les œuvres. » Quand on en vient au statut du surveillant de salle, le ton de Marcella est moins enthousiaste. « À l'époque où on m'a embauchée, la direction était dans l'optique que le personnel soit là aussi pour apporter des éléments de réponse aux visiteurs. Mais ce n'est plus vraiment le cas. »

Vous avez jusqu'au 23 janvier 2017 pour vous faire votre propre opinion sur l'exposition « Magritte, La Trahison des images » au Centre Pompidou, à Paris.

Quand elle n'est pas au musée, Marie est sur Twitter.