Guide de survie en École d'Art
Toutes les illustrations sont de Vachement Design.

FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Guide de survie en École d'Art

Vous avez fait le choix de la vie d'artiste. Voici quelques conseils pour ne pas finir à la rue.

Vous avez fait le choix de mettre à profit votre fibre créative pour un jour en vivre. Ces années de gribouillages dans les marges des copies-doubles et de tags dans les agendas de vos potes n'ont pas été vaines, d'ailleurs tout le monde s'accorde à le dire : « vous dessinez trop bien », vous êtes « l'artiste de la famille. » Votre bac en poche — et peut-être après quelques années d'errance dans des salles de facs sous-chauffées — vous avez décidé de convaincre vos parents de vous laisser faire des études artistiques. Bravo, à vous la quête de l'oeuvre, à vous la culture avec un grand « C », à vous l'alliance parfaite du manuel et du cérébral, à vous les scènes de sexe peinturlurées à même le sol dans des ateliers-lofts, à vous la vie d'artiste. À vous l'école d'art.

Publicité

Les écoles d'art ne sont en fait pas si différentes des écoles d'ingénieurs ou des écoles de commerce. Il y a énormément plus de meufs et personne ne regarde votre bulletin à l'entrée mais vous y trouverez au moins autant de notes, de rendus, de règles débiles et de BDE. La principale différence réside dans le fait qu'une école d'art ne vous formera pas à un métier mais à devenir vous. Certes vous serez, au choix, artiste, designer, architecte, styliste et, pour 95% d'entre vous, graphiste, mais ce n'est pas votre école ni les outils qu'elle vous mettra dans les mains qui feront de vous un professionnel accompli. Il n'y a pas de bons élèves dans les écoles d'art, il y a juste des gens qui se comprennent mieux que d'autres.

Choisir où commencer

Si vous n'êtes pas un génie doté d'un Asperger appuyé, il y a de grandes chances que vous passiez par une ou deux années de classe préparatoire dites de « mise à niveau ». Il existe trois catégories de classe préparatoire, les publiques, les privées et celles intégrées à l'école qui devrait — si tout se passe bien — devenir la vôtre. Pour atterrir dans une prépa publique, il fallait vous réveiller tôt, en général, vous saviez depuis la troisième et le choix de l'option arts plastiques — ou plus tard STI arts appliqués — que c'était là que vous alliez finir. Dans ce cas là on parle de Manaa, et ça n'a aucun rapport avec les cartes Magic, la preuve, il y a des cours de math. Seulement voilà, comme tout ceux qui ne veulent pas faire des chaises en rotin depuis le primaire, vous vous êtes découvert créatif sur le tard. Mauvaise nouvelle, vous allez raquer.

Publicité

Il y a un choix infini de classes préparatoires privées. Vous en entendrez parler par des amis de vos parents ou vous tomberez dessus par hasard dans des salons d'orientation où vous vous perdrez totalement apeuré. Toutes vous annonceront des résultats aux concours, que Starck est passé par là et vous promettront une ambiance à mi-chemin entre Burning Man et un sweatshop du Bangladesh. Une classe préparatoire privée coûte assez cher — comptez entre cinq et huit mille euros l'année — si vos parents n'étaient pas au courant, cela ne manquera pas d'animer quelques repas dominicaux.

La classe préparatoire

La classe préparatoire est un mélange de souffrance et de transcendance. Une année entière où vous vous trouverez par intermittence tout à fait nul et absolument génial, chaque jour, chaque heure et chaque minute. La prépa n'a que deux buts : vous apprendre les bases et vous faire comprendre qu'en fait l'art, c'est énormément de boulot. C'est comme se taper du solfège quand on veut simplement jouer de la basse dans le groupe de ses potes. C'est affreusement chiant mais en se donnant à fond on découvre des possibilités insoupçonnées. Vous saurez alors que votre truc, c'est le hautbois, que malgré les références cinéphiles derrière le nom de votre groupe ou de vos morceaux, rien ne le rendra moins inécoutable et surtout que ce désir naissant de perfection vous empêchera à jamais d'être heureux.

Publicité

Les concours

Les concours, bien que redoutés, sont ce qui vous arrivera de mieux dans votre année. Vous viserez les cieux, vous vous dépasserez, vous pleurerez, vous perdrez tout sommeil, vous maudirez le reste de l'humanité, vous échouerez. Bref, vous n'aurez jamais été aussi proche de l'artiste que vous serez un jour.

Vous n'avez pas eu l'école que vous vouliez

Vous n'avez pas eu les Arts déco, les Beaux-Arts ou l'ENSCI. Ne vous en voulez pas trop, ce n'est pas la fin de monde et surtout, c'était prévisible. Chaque année, l'ENSAD accepte entre 80 et 100 personnes sur des milliers dossiers. Pour les Beaux-Art de Paris, comptez quelque chose comme 70 — une bonne partie des nouveaux élèves de l'ENSBA rentrent en cours de cursus — et les Ateliers de l'ENSCI remportent la palme avec seulement 45 nouveaux entrants par an. De plus, en fonction de ce que vous voulez faire, cela peut-être une très bonne idée d'aller à Strasbourg ou à Cergy. Il vous reste simplement à vous poser les bonnes questions : est-ce que c'est vraiment ce que je veux faire ? Est-ce que je suis près à aller vivre à Saint-Étienne ? Est ce que mes parents paieront encore quatre ans ? Si par chance vous répondez positivement à tout cela, alors vous êtes sauvé. Il existe en France de bonnes écoles privées, très chères mais le plus souvent assez reconnues et bien plus professionnalisantes que la plupart des ENS. Vivre dans une ville de province est le meilleur moyen de développer une pratique artistique qui ne soit pas une copie conforme de tout ce qu'on peut voir à Paris. Et vous entretenez désormais des rapports tendus mais sains avec vos géniteurs.

Publicité

Vous avez eu l'école que vous vouliez

Bravo. Que ce ne soit pas une excuse pour finir suffisant et vous reposer sur vos lauriers, on attend de vous que vous trouviez en vous de quoi devenir le précurseur de demain. Vous ne serez absolument pas prêt à la vie professionnelle en sortant mais c'est tout de même vous qui serez embauché. Non vraiment, bravo.

Les fêtes

C'est peut-être la seule folie que je vous conseillerais dans ce guide un brin sévère. Les fêtes d'école d'art sont invariablement de bonnes fêtes et ce, jusqu'au moment — invariable lui aussi — où une putain de fanfare avec un nom débile ne vienne tout ruiner. Heureusement, il y a énormément de gens très riches dans les écoles d'art, et vous pourrez terminer votre exutoire au petit matin dans l'immense appartement de Cécile du département Design textile. Si vous avez un semblant de chance, personne n'y fera de performances avec des objets du quotidien.

Drogues et l'alcool

Non. Ne prenez rien. Jamais. Je sais que le mythe de l'artiste qui trouve son inspiration dans ses volutes, ses fonds de bouteilles et ses trips est tentant mais ce n'est pas du tout comme ça que ça marche. Si vous en êtes déjà là, arrêtez toute création artistique. Réorientez-vous. Ce genre de conneries sont pour des mecs de 40 balais, si vous n'avez pas d'inspiration à 20 ans, vous n'en aurez jamais.

Votre passage en école d'art vous ouvrira des portes sur quantité de dope, mais je vous en conjure, résistez. Que ce soit pour l'expérience, pour être accepté socialement, ou plus sérieusement pour s'accepter tout court, être sous influence pendant vos années d'études est une terrible idée. Gardez vos thunes pour acheter du matos, du vrai, genre des feuilles format raisin à 4€, vous en aurez bien plus besoin.

Publicité

La drague

Les filles sont sublimes et entreprenantes, les mecs sont mystérieux et volontaires. Tout est fait pour que les écoles d'art soit une version tangible d'un Tinder de bon goût. Une longue farandole de relations aussi passionnelles que courtes. Vous tiendrez six mois avant de vous rendre compte que si c'est assez vrai dans les faits, ce n'est en aucun cas quelque chose de souhaitable. Vous ne le savez pas encore puisqu'il s'agit de vous, mais depuis votre entrée en première année vous êtes devenu fou aux yeux du monde extérieur. En réalité, les filles d'écoles d'art sont tarées et les mecs sont des Pygmalions qui vampiriseront ce qu'il vous reste d'imagination. Ce qui peut vous arriver de mieux c'est de rencontrer quelqu'un ancré dans la réalité, genre deuxième année d'IUT Optométrie. C'est la seule solution pour que vous ne vous serviez pas de votre désespoir amoureux comme source d'inspiration et rendiez à l'occasion toutes vos productions complètement insipides.

Les profs

Il existe deux types de professeurs dans les écoles d'art : les très bons et les très mauvais. Les premiers sont des rencontres qui changeront votre vie. Un peu effrayant au premier abord, ils se révéleront être la bouée de sauvetage dont vous aurez terriblement besoin dans cette transatlantique de l'introspection. Certes, leur ego et leur talent auront, au début, raison de votre originalité, mais après vous avoir envoyé chier devant la nullité de vos travaux, ce seront eux qui viendront vous rassurer à coups de « rien ne se créé, tout se transforme » ou d'une anecdote tirée de leur jeunesse, lorsqu'ils se bourraient la gueule avec Bacon, et qui fera alors parfaitement écho à votre situation. Vous y croirez du moins. Vous n'en rencontrerez qu'un ou deux, les autres seront, pêle-mêle, des faux gourous qui cherchent chez leurs élèves la confiance et l'admiration qu'ils ont depuis longtemps perdues et des professionnels de la profession venus arrondir leur salaire et soutirer des idées jeunes pour leur DA à venir. Plus triste encore, les écoles sont remplies d'alumni qui n'ont jamais vraiment lâché l'école. Tout d'abord parce qu'ils ont tenus à rester président du BDE après leur diplôme, mais surtout parce qu'ils sont dans l'incapacité totale de trouver un travail.

Publicité

Comprenez-le, à l'exception de quelques-uns, ne cherchez chez vos profs que des informations techniques, des outils pour mettre en oeuvre les projets qui sont dans vos têtes et qui, en attendant de vous faire vivre, rapportent un max à votre école.

Les partenariats

Parce que oui, au cours de votre scolarité vous aurez à travailler sur des projets de partenariat. Si vous êtes dans le publique, ce sera invariablement avec des institutions ou des collectivités locales. Si vous êtes dans le privé, vous aurez la chance de contribuer aux réductions d'impôts de chouettes boîtes comme La Poste et Dassault. En général tout à fait nazes, ces projets ont pourtant un intérêt non négligeable. Ils sont ce qui se rapproche le plus de ce que vous ferez à votre sortie d'école. Oui, votre client ne comprendra absolument rien, mais il est important de commencer tôt ce numéro de jongle qui vous permettra de petit à petit gagner sa confiance pour lui proposer un peu de créativité. Si ça se passe bien et que vous jouez le jeu, un jour, plus tard, ce seront ces mêmes personnes qui viendront vous chercher pour vous proposer des contrats assez bien payés pour vous permettre de faire ce que vous voulez le reste du temps.

Trouver du travail

On y vient. Il est enfin temps de sortir de cette putain d'école que vous ne pouvez plus voir ni en peinture, ni en photo, ni en eau-forte, ni en installation interactive novatrice et intégrée aux tissus urbains. Ça y est, vous parlez exactement comme il faut de vos créations, vous savez que c'est qui compte le plus. Il y a de grandes chances que vos études ne s'arrêtent pas là, que sans vraiment le vouloir, vous vous mettiez à travailler dans une autre branche, ou que vous galériez sérieusement à trouver du taf. L'avantage, c'est que vous savez désormais mentir comme personne. Le monde de la communication s'ouvre à vous.

Conclusion 

Vous étiez venu pour la vie d'artiste et vous avez trouvé une voie bouchée par trop de monde. Trop de graphistes nuls, trop d'artistes flemmards, trop de gens exactement comme vous. Vous avez compris que seul énormément de travail à l'école mais surtout à coté pouvait vous sauver. Vous êtes désormais prêt à être une grande personne. Vous savez que tout cela ne servait à rien. Vous savez que vous ne seriez rien sans tout cela. Encore une fois bravo. Vous avez fait une école d'art.

Toutes les illustrations sont de

Vachement Design

.