Les artistes ne veulent vraiment pas du Brexit

Au Royaume-Uni, le référendum du 23 juin sur le «Brexit», où les Britanniques décideront s’ils souhaitent quitter l’Union européenne (UE) ou non, approche à grands pas et tout le monde ne parle que de ça. Tous les secteurs d’activité du pays seront concernés et la possibilité d’un Brexit fait déjà vaciller la livre sterling. Dans le monde de l’art, comme partout, il n’y a qu’une certitude: c’est l’incertitude totale. Personne ne sait vraiment ce qu’il se passerait si le Royaume-Uni venait à tourner le dos à ses voisins européens.

En tout cas, pour 282 personnalités du monde de l’art britannique et européen, dont des acteurs comme Bill Nighy, Jude Law, Keira Knightley ou Kristin Scott Thomas, des groupes comme Alt J ou Franz Ferdinand, des réalisateurs comme Steve McQueen, Richard Curtis ou Eric Fellner, le directeur du Tate Modern Chris Dercon ou le sculpteur Anish Kapoor, un Brexit est hors de question. Le 20 mai dernier, ils ont tous signé une lettre ouverte, publiée dans plusieurs médias britanniques, incitant les Britanniques à voter contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

«De la plus petite galerie au plus grand blockbuster, beaucoup d’entre nous ont travaillé sur des projets qui n’auraient jamais vu le jour sans les fonds vitaux de l’UE ou sans collaboration transfrontalière. La Grande-Bretagne n’est pas seulement plus forte au sein de l’Europe, elle est aussi plus imaginative et plus créative, et notre succès créatif mondial se verrait sévèrement affaibli si nous partons», la lettre explique. Elle ajoute que «la créativité britannique inspire et influence le reste du monde. Nous pensons que faire partie de l’UE renforce le rôle centrale de la Grande-Bretagne sur la scène mondiale».

Pour James King, un peintre britannique basé à Paris contacté par The Creators Project et à qui un Brexit «filerait le bourdon», l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE est aussi une nécessité. Il explique que dans son expérience, «les gens qui travaillent dans les domaines créatifs ont tendance à avoir des visions internationales, donc plus l’étendue du contact international et la liberté de circulation sont grandes, le mieux c’est pour nous, c’est évident». Lui qui se définit comme un Européen convaincu ajoute que «la liberté de circulation devrait même être internationale, bien au-delà de l’Europe».

En parallèle de la lettre ouverte signée par 282 artistes britanniques, la Fédération des industries créatives (Creative Industries Federation) britannique a publié un sondage montrant que 96% de ses membres sont contre le Brexit. John Kampfner, le directeur général de la fédération, m’a confirmé la menace que constitue l’inconnu d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE: «Nous sommes un organisme dont les membres incluent autant les artistes, les musées et les galeries qu’une grande variété de personnes évoluant dans l’art, les industries créatives et l’éducation culturelle. Avec ce sondage, il est devenu clair que la liberté de circulation, entre autres, a énormément contribué au succès culturel britannique. Le danger du Brexit est de ne pas savoir quel impact ça aura, à la fois sur les artistes et, plus largement, sur l’économie dans laquelle ils opèrent».

Parmi les signataires de la lettre se trouve également le photographe allemand Wolfgang Tillmans, qui vit à Londres. Il a produit une série de 26 posters munis de slogans soulignant pourquoi, selon lui, le Royaume-Uni doit rester dans l’UE. «Si des gens comme Vladimir Poutine, Nigel Farage, George Galloway, Marine Le Pen et l’État Islamique veulent que le Grande-Bretagne quitte l’UE, quelle en est votre position?», «La démocratie, la paix et les droits de l’homme ont de nombreux ennemis. Le Brexit ne les rendra que plus forts» ou «Depuis 60 ans, l’UE pose les bases de la paix entre les voisins européens» sont quelques-uns des slogans que l’on peut lire sur les affiches de Wolfgang Tillmans. Sur son site, le photographe écrit que «quitter l’UE aujourd’hui, en ces temps politiques dangereux, ça n’a rien de patriotique, c’est simplement idiot et ça enverrait un mauvais message aux ennemis des valeurs européennes».

L’artiste contemporaine britannique Tacita Dean a également contribué au combat anti-Brexit en réalisant sur un tableau noir de près de dix mètres de long un dessin basé sur La Tempête de Shakespeare. Pour elle, le référendum du 23 juin est comme la tempête qui cause le naufrage d’un bateau dans la pièce de théâtre de Shakespeare. Un bateau dont le premier ministre David Cameron aurait complètement perdu le contrôle.

Le peintre irlandais Michael Craig-Martin a aussi réalisé une affiche sur laquelle on voit une ampoule, accompagnée du slogan «La Grande-Bretagne dans l’UE». Tout cet activisme par l’art suffira-t-il pour faire pencher la balance en la faveur d’une UE avec le Royaume-Uni, alors que plusieurs sondages donnent le “Out” gagnant? Réponse le 23 juin.