Les enfants privés de vacances de Seine Saint-Denis débarquent à Versailles
Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Emerige.

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Culture

Les enfants privés de vacances de Seine Saint-Denis débarquent à Versailles

Alors que vous enchainez les selfies à Santorin, près de 6000 enfants découvrent Versailles et les œuvres d'Olafur Eliasson.

Avec « Une journée de vacances à Versailles », le Groupe Emerige saisit le problème à bras le corps en permettant à près de 6000 enfants de centres de loisirs de Paris et de sa région parisienne (Saint-Denis, Yvelines, Val de Marne) de prendre leurs quartiers dans les appartements du Roi ainsi que dans ses jardins, ouverts pour eux. Du mécénat quasi-philosophique auréolé d'une vision politique, dont le centre névralgique est l'éducation artistique comme terreau fertile de la société. Récit de la journée du 22 août dernier, deuxième volet de cette opération qui a vu se déployer 150 éducateurs de centres de loisirs, 50 médiateurs culturels et presque autant de cars. On y était.

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Sous le soleil de plomb, les enfants trépignent à en oublier la chaleur. Avant de franchir les grilles dorées à l'or fin du Château de Versailles, mille raisons à leur excitation teintée d'impatience. Certains esprits encore logés dans la belle crédulité enfantine s'imaginent voir le Roi, d'autres rêvent de se perdre dans un labyrinthe pour ne pas rentrer à la maison le soir tombé, quand la plupart a surtout l'impression de se confronter aux contours réels d'un monument fantasmé, jamais visité.

Imaginé, rêvé, le Château véhicule sa nébuleuse de représentations charmantes et incongrues. « C'est une forteresse », « il va falloir forcer la porte », « j'ai pris mon archer » entend-on ici et là. C'est un ailleurs absolu dans le temps, perdu entre l'homme de Cro Magnon, Charlemagne et François Hollande. « Louis XIV, il est de la même famille que le Président ? ». Il faut donc bien une journée pour remettre de l'ordre dans cette jolie frise éclatée et poétique. Les 50 médiateurs sont là pour cela. Leur donner des clés, leur apprendre à faire une révérence – certains trouvent complexe de coordonner le geste de la main et du pied et tombent tout simplement la tête la première – mais surtout les aider à remplir un carnet pédagogique bien fourni (on vous met, à cet égard, au défi d'y répondre sans regarder les réponses sur internet, on aura sorti dix fois notre portable pour les aider à trouver l'âge de la mort du roi, la raison de son décès, le prénom de Le Nôtre… André, bref, retournons sans honte au CE1). Heureusement que la concentration est bonne et qu'elle est rendue possible par le peu d'affluence ce jour-là. Le château fermé aux visiteurs, a en effet été ouvert pour eux. Le symbole est fort, on ouvre des portes.

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Ce ne sont pas seulement des portes qui s'ouvrent à eux, mais un monde. Le goût pour la culture éclôt dans des moments parfois fugaces, une journée comme celle-ci peut suffire à faire naître des vocations, des désirs « moi je voulais être policier, maintenant je veux peindre, j'ai jamais vu autant de tableaux autour de moi »…

La visite est riche, rythmée, des Salons de Mercure, Diane, à la galerie des glaces « ils mangeaient des glaces ici tu sais », en passant par la plus attendue, la chambre du roi « ils étaient petits comme des nains à l'époque je crois bien », ou encore l'antichambre «  la chambre où on va quand on ne veut pas dormir »… Ils commentent, on jubile. Personne ne cabote trop, ne fait l'intéressant. Cela pourrait être l'âge où l'on s'amuse à tester l'autorité en coupant la parole, mais non, le public est du genre assidu et pose de vraies questions. « Mais un mariage de raison, c'est quand personne n'a jamais tort ? ».

La nourriture de l'esprit est la meilleure des morales, tout le monde ici est attentif, nul besoin de hausser la voix. À l'exception d'un enfant qui a tout le temps faim et d'un autre qui tourne en boucle sur cette phrase « t'as vu, ils sont tous habillés en rideaux ». Certains sont sûrs de leur effet sur le reste du groupe. Face à l'un des comédiens venu grimé en Louis XIV, l'un d'entre eux aura ce mot magique « Vous pouvez me ramener le vrai ? ». Évidemment dans les bosquets de Le Nôtre, après avoir visité le vaisseau fantastique que représente l'Orangerie, la blague bien connue autour de ce patronyme fuse, « le vôtre ? », non « Le Nôtre ». Forcément.

Dans l'axe du Grand Canal, la perspective époustouflante et rafraîchissante par cette température estivale, est fendue par la monumentale cascade de l'artiste contemporain Olafur Eliasson qui s'était rendu présent lors de la première édition pour discuter avec les enfants de ses créations essaimées dans le Château. Cette fois-ci, il n'est pas là mais il a laissé place à la Ministre, Audrey Azoulay, venue adouber cette démarche socio-éducative d'ampleur. Serait-elle venue dans l'idée de pérenniser l'opération sous les ors du Ministère ? C'est tout ce que l'on peut espérer, faisant passer le droit aux vacances d'un droit-liberté fondamental à un droit-créance, pour près de 4 millions d'enfants.