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Culture

Les retouches ne restent jamais cachées bien longtemps

Grâce à la science, les modifications sur les œuvres — pour des raisons commerciales, religieuses ou morales — ne font plus de mystères.
Image de Une : Statue of Persée, Musée Pius-Clemente, Vatican. Photo : Alvesgaspar via Wikimedia Commons.

Derrières les portes closes d'institutions d'art des quatre coins de la planète, se cachent des machines à remonter le temps et autres chambres d'investigation. On y voit ressortir de ternes chefs-d'œuvre aussi éclatants qu'à leurs premiers jours ; on y perce des secrets de maîtres ; on y met à jour des compositions secrètes planquées dans de célèbres toiles. The Creators Project vous fait entrer dans ces laboratoires de restauration.

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Des blagues graveleuses, des idées sacrilèges et, bien sûr, des bites : voici quelques exemples qui ont soulevé des réactions enflammées à travers l'histoire de l'art. Compte tenu du nombre incalculable d'œuvres détruites pour des raisons religieuses, politiques ou pour des questions de « décence », on devrait être finalement plutôt contents qu'un bon paquet d'originaux soient toujours en vie. Maintenant que les conservateurs et restaurateurs disposent des rayons X et de tout un tas de technologies modernes, il devient plus aisé de découvrir les intentions originelles de certains artistes — et celles de ceux qui ne pouvaient pas les souffrir.

Avant et après la restauration de "View of Scheveningen Sands" de Hendrick van Anthonissen, vers 1641. © Fitzwilliam Museum

Quand View of Scheveningen Sands de Hendrick van Anthonissen arriva au Fitzwilliam Museum en 1873, personne ne comprenait ce que faisaient tous ces gens rassemblés sur la plage, regardant tous dans la même direction. La composition a finalement fait sens en 2014, quand la restauratrice Shan Kuang a trouvé des traces de retouche et a délicatement gratté les couches de peinture, révélant une baleine échouée dans la toile du peintre hollandais. Les spéculations sont allées bon train, des experts avançant que l'animal mort aurait été jugé dérangeant — l'altération aurait été faite un ou deux siècles après, rendant la peinture plus facile à vendre. Bref, encore une sale victoire de la vénalité sur la créativité.

À gauche : "Le Baiser de Judas", école britannique, probablement de Coventry, vers 1470. © Hamilton Kerr Institute. À droite : dos du panneau, où une analyse à l'infrarouge a révélé des inscriptions effacées.

Quand ce n'est pas l'argent qui vient entraver la vision de l'artiste, c'est souvent la religion. Pendant la Réforme protestante, aux XVe et XVIe siècles, les iconoclastes puritains ont défoncé quasi toutes les peintures d'église en Angleterre, faisant de facto des œuvres comme la représentation médiévale de Judas (ci-dessus) des vestiges plutôt rares. L'an dernier, une analyse infrarouge sur le dos du panneau ont révélé des inscriptions disparues, qui explique le sauvetage de celle-ci : elle avait été retournée et on y avait tout bonnement listé les Dix Commandements.

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"John Dee montrant une expérience à la reine Elizabeth I" de Henry Gillard Glindoni, vers 1913. Peinture en l'état puis passée aux rayons X. Images publiées avec l'aimable autorisation de la Wellcome Library de Londres.

Le génie du XVIe siècle John Dee est considéré comme une figure complexe et énigmatique — il était à la fois un brillant érudit et un magicien célèbre qui a passé une bonne partie de sa vie à communiquer avec les anges. Quand l'artiste victorien Henry Gillard Glindoni a voulu rendre hommage aux tendances occultes de Dee en peignant le savant en pleine expérimentation devant la reine d'Angleterre, un acheteur sans gêne a contrarié ses ambitions. La version originale de Glindoni comporte, entre autres, un cercle de crânes humains aux pieds de Dee, tandis que celle qui nous est parvenue n'en montre rien. Un siècle plus tard, lesdits crânes refont surface, par-dessus les couches de peintures déjà rajoutées. Un petit passage aux rayons X achèvera de démêler le mystère en 2015.

Détail de "Peasants Outside a Farrmhouse Butchering Pork" d'Isaac van Ostade, 1641. Avant et après restauration. © Norton Simon Foundation. Photo publiée avec l'aimable autorisation du J. Paul Getty Museum, Los Angeles.

2015 a aussi été une bonne année pour Isaac van Ostade et son sacré humour scabreux. En novembre, le Royal Collection Trust annonce que les restaurateurs ont mis à jour un homme déféquant librement dans la nature, et qui avait délicatement masqué derrière un buisson au début du XXe siècle. En décembre, c'est au tour de la Norton Simon Foundation de révéler un autre toilette en plein air, toujours dans une toile d'Ostade. Cette fois, le mauvais bougre, à gauche au premier plan, a été retouché pour paraître être tout simplement assis sur un tabouret.

"Le Jugement dernier" de Michel-Ange, entre 1536 et 1541, Chapelle Sixtine.

Mais quand on en vient au motif de décence, le Vatican figure en bonne place parmi les plus puritains. Même Michel-Ange n'a pas échappé à la grande censure du XVIe siècle : son incroyable Jugement dernier, dans la Chapelle Sixtine, n'y a pas dérogé — des tissus sont venus draper stratégiquement l'anatomie exposée au grand jour des protagonistes de la scène. Quelques-uns ont cependant été remis à nu depuis.

Que cela serve de leçon aux pudibonds présents et futurs : tôt ou tard, on démasquera vos forfaits.

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