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Rencontre avec le mec qui a créé Californium

On a demandé à Brice Roy de One Life Remains si c'était dur de faire un jeu sur l'univers de Philip K. Dick.
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Cet article vous est présenté par le jeu-vidéo Californium, inspiré de l'univers de l'écrivain Philip K. Dick et disponible sur ARTE Creative. Rendez-vous sur le site.

Voilà 4 ans que Californium a été annoncé. 4 ans que les fans de Philip K. Dick attendent comment Brice Roy - cerveau du collectif One Life Remains – et sa petite équipe, vont réussir à retranscrire les circonvolutions du cerveau dérangé de l’auteur de Substance Mort, Siva, Blade Runner ou encore Total Recall (mais aussi d’un film débile avec Nicolas Cage, et un autre avec Ben Affleck) en jeu vidéo. Placé sous le signe de l’exploration liquide de multiples strates de réalité, le jeu commandé par Arte offre bel et bien quelques perturbations perceptives dignes du grand oracle à qui est dédié Californium. Et Brice Roy préfère prévenir ceux qui s’y aventureront : les bugs ne sont pas toujours des bugs. Et ils rêvent parfois de moutons électriques.

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Creators Project : A la base, explorer l’univers de Philip K. Dick dans un jeu vidéo, c’était une envie personnelle ou c’est Arte qui t’a poussé à le faire ?

Brice Roy : C’est clairement un truc que j’aurais pu faire moi, mais dans le cas de Californium, c’est une commande d’Arte. Ils préparaient l’anniversaire de la mort de K. Dick et à la base, ils voulaient faire un web documentaire sur son travail. En en parlant avec la production, on s’est dit qu’on était plus partant sur l’idée d’un jeu vidéo, quitte à ce que ça passe par le transmédia. Le concept m’intéressait, mais ça a fini de manière plus tranchée.

Il reste quelque chose de cette idée dans la manière dont Californium a été pensé ?

Non. Le jeu est devenu une entité autonome, voire carrément étanche. On ne savait pas ce qu’ils faisaient avec le documentaire, et de toutes manières, ça ne s’est pas construit sur la même temporalité. On ne voulait pas que le jeu soit un spin-off du documentaire, ou un à côté. Il fallait qu’il reste un objet en soi, pas une expérience bonus, même si forcément, on ne pouvait pas empêcher les effets de va et vient.

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Comment est-ce que tu as monté l’équipe ?

Ça dépend ce qu’on appelle « équipe », parce que certaines personnes ont travaillé sur l’intégralité du jeu, alors que d’autres, les scénaristes surtout, se sont pas mal enchaînés. 8 scénaristes ont bossé sur le jeu au final, ça a été assez long. En revanche, j’ai tout de suite su que je voulais travailler avec Olivier Bonhomme pour son trait et sa dimension graphique vraiment forte, Raphaël Kuntz sur la modélisation 3D et Xavier Thiry sur la musique. L’idée de faire un jeu narratif s’est imposée dès le début ?

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Non. On avait différents prototypes en tête avec André Berlemont. Certains très mécaniques et répétitifs. Ça nous semblait bien retranscrire certaines idées de K. Dick, mais ça s’est avéré incompatible avec le scénario qu’on a fini par mettre en place. C’est un problème qu’on rencontre souvent avec la fiction narrativo-ludique. C’est très difficile d’arriver à un équilibre entre l’histoire et le gameplay. Soit tu as des jeux très axés gameplay qui ne raconteront finalement pas grand-chose, soit des choses assez complexes à raconter, mais qui devront passer par un gameplay assez pauvre. C’était un challenge et je ne suis pas sûr qu’on s’en soit parfaitement sortis.

C’est le scénario qui a guidé le gameplay ou l’inverse ?

On est partis de prototypes de gameplay avant de passer à l’écriture. Mais c’est une partie qui s’est révélée particulièrement problématique parce que d’un côté, on avait des spécialistes de K. Dick qui n’arrivaient pas à se plier aux impératifs du gameplay qu’on avait mis en place, et qui se mettaient la pression parce qu’ils voulaient être à la hauteur de l’hommage. De l’autre, des scénaristes qui comprenaient bien les mécaniques, mais ne connaissaient pas assez Philip K. Dick. Du coup, on s’est retrouvés à avancer en zig zag et on a fini par faire les choses dans un ordre qui n’obéissait pas à celui dans lequel on avait pensé les faire. On a eu tellement de difficulté à obtenir un bon scénario dickien qu’on a été obligé de changer le prototype sur lequel on s’était arrêtés pour le simplifier et l’adapter à un scénariste qui ne serait pas habitué aux jeux vidéo.

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C’est quoi un « bon scénario dickien » ?

On avait posé pas mal d’axe différents : la paranoïa, la relation homme/machine, le rapport au réel et le côté « objets connectés » qui se rebellent. K. Dick évoque le retour de l’animisme dans un essai. Il raconte le moment où après avoir pensé que les objets avaient une âme, ces objets commencent à avoir une autonomie et des intentions qui leurs sont propres, et pas forcément en accord avec les nôtres. Par ailleurs, on s’est retrouvés face à une contradiction intéressante en comprenant que l’un des principes dickiens et de casser systématiquement les règles. Et on a été obligés de se demander comment casser les règles en développant un jeu, fondamentalement régi par des règles.

Comment ça s’est traduit dans le jeu ?

Il faut revenir à notre prototype de base, qui était une espèce de jeu des sept erreurs dans lequel le joueur était actif. Il se promenait dans une pièce dans laquelle certains objets, très quotidiens, disparaissaient au fur et à mesure de ses mouvements. Ça le mettait dans une position délicate où il n’était pas sûr de ce qu’il avait vu la seconde d’avant. Tout se jouait sur la perception, et c’est une idée qui est restée. Il n’y a pas d’interaction directe dans Californium, parce que tout doit passer par le regard, la manière dont le joueur s’oriente et les perspectives qu’il adopte. C’est une idée récurrente chez K. Dick, qui interroge souvent la réalité de ses personnages, qui ne sont peut-être que des projections.

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L’écueil d’un tel principe, c’est que le joueur peut penser qu’il s’agit d’un bug d’affichage…

On y a pensé, et on trouvait très bien de perturber le joueur par ce biais. Qu’il se demande : est-ce que ce truc-là est un bug, ou non ? Ça fait partie du truc dickien. D’ailleurs, dans le sens inverse, les joueurs anglais se sont retrouvés avec un vrai bug à la sortie du jeu, lié au placement des touches sur le clavier. J’ai lu un article dans lequel le journaliste avait trouvé très intéressant de ne pas pouvoir jouer avec les classiques ZQSD, qui se retrouvaient disséminées sur son clavier. Il trouvait ça très dickien, mais là, ce n’était pas intentionnel.

Est-ce que le jeu a justement été développé sur PC pour forcer le joueur à se retrouver devant un clavier ?

Ça ne s’est pas passé dans cet ordre, mais c’est une contrainte qu’on a rapidement assumée. Pour travailler sur ce rapport à la perception, le PC demeure le meilleur support. C’est une décision qu’on a prise. Ça n’avait pas de sens que ce soit sur tablette parce que l’orientation du point de vue était fondamentale. C’est aussi de là que nous est venu l’idée de la machine à écrire en ouverture de chaque monde. C’était intéressant de créer cet effet mimétique.

Et la direction artistique du jeu, comment elle s’est plaquée comment dans l’élaboration du jeu ?

Comme pour l’écriture, on est partis de ce gameplay où il s’agissait de traquer les anomalies, et ces anomalies faisaient dérailler la réalité. Une fois cette base posée, on a déterminé qu’on jouerait avec un emboîtement de monde, comme des poupées russes, et l’étape suivante, c’était de caractériser ces mondes. Pour ça, on est partis du matériau dickien qu’on évoquait plus tôt, en épluchant ses différents univers, à la fois dans son quotidien et ses fictions. Ça a donné lieu à des thématiques qui ont permis de déterminer la direction artistique avec pour règle d’or d’avoir un effet d’étrangeté qui devait se traduire de manière progressive. Etonnamment, c’est seulement un mois avant la fin qu’est apparu cet effet qu’on voit dans le jeu, qui permet de révéler les strates de manière liquide. Et c’est dans cet aspect liquide que je trouve qu’il se raconte le plus de choses dans le jeu. Ça crée une vie dans les décors dont les personnages sont exempts.

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Justement, ces personnages en 2D, parlons-en. C’est un choix étrange. Lié à des problèmes de budget ?

Pas du tout. Ça a d’ailleurs été l’objet de débats assez longs. Mais je suis très content de ce choix, parce que ça permettait de conserver ce trait de bande dessinée qui caractérise le travail d’Olivier Bonhomme, mais ça créait aussi certains rebondissements narratifs complètement en corrélation avec l’aspect dickien de cet univers. On inversait une perception dans le sens où plutôt que d’avoir des personnages vivants dans un univers en carton pâte, on se retrouvait dans un décor vivant avec des personnages factices.

Comment est-ce que Californium s’incrit dans le travaille que tu réalises avec One Life Remains ?

C’est très différent, parce qu’avec One Life Remains, on fait du gameplay expérimental et radical où on se désintéresse de la question de la réception auprès d’un public avec des attentes prédéterminées. Californium, ça reste un projet de commande, d’où, la présence d’un scénario, qui est absent de mon travail habituel. Par ailleurs, c’est un jeu de genre, et on ne pense pas forcément en ces termes avec One Life Remains.

Ce travail sur le scénario, c’est quelque chose qui pourrait nourrir tes prochains travaux personnels ?

Sur le scénario, je ne sais pas, mais le travail sur la perception, c’est quelque chose qui a toujours été très fécond et qui me nourrira encore longtemps.

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Au final, tu définirais Californium comme un jeu commercial ou un jeu expérimental ?

Je dirais que c’est un geste. Le jeu s’inscrit dans des problématiques de genre assez normées. Plus qu’un jeu narratif, je dirais que c’est plus un jeu d’ambiance, qui obéit aux codes du genre. On a beaucoup pensé à The Stanley Parable et Antichamber en le faisant, avec des mécaniques assez simples. Et à côté de ça, le jeu prospecte, teste des choses qu’on ne voit pas forcément d’emblée, et je dirais que finalement, on n’a pas fait beaucoup de compromis. Mais le jeu a un début, une fin, des répétitions de mécaniques, des choses assez normées.

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Philip K. Dick devant un jeu vidéo, ça aurait donné quoi ?

Je ne sais pas si ça m’intéresse beaucoup de l’imaginer. Je préfère imaginer le jeu vidéo qu’il aurait pu faire. C’est un peu comme son rapport à la drogue. Je suis très sceptique quant à son rapport personnel à la drogue. Au fond, si un jeu vidéo est un dispositif d’illusionement ou un dispositif à vivre des expériences psychédéliques, alors je suis pas sûr que K. Dick y aurait joué, de la même manière que je suis pas sûr qu’il ait fait un usage des drogues particulièrement poussé.

Arte a sorti conjointement au jeu un court-métrage en réalité virtuelle i Philip. Ça ne t’intéressait pas de développer le jeu dans ce cadre ?

Alors non, la réalité virtuelle ce n’est pas du tout ma came, je n’y crois pas du tout. C’est la question qu’on pose à tous les créateurs de jeu vidéo en ce moment, et ça m’énerve. Ce n’est pas parce qu’on rapproche un écran de tes yeux que ta perception va changer. En revanche, la réalité augmentée et le travail sur les filtres qui l’accompagne m’intéressent beaucoup plus !

Merci Brice.

Le jeu est à retrouver sur le site d'Arte CREATIVE ainsi que sur Steam.