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Rencontre avec les mecs qui ont fait 49:3, le jeu vidéo

Bonne nouvelle : on peut désormais renverser le gouvernement sur son portable.
Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation d'Atomic Raccoon

Il y a quelques semaines, alors que les manifestants du printemps dernier préparaient leur rentrée comme des millions d’autres Français, je suis allé rendre visite à Paul et Edouard, les fondateurs et uniques membres du studio de jeux vidéo Atomic Raccoon. J’étais tombé par hasard sur leur jeu 49:3, et je me demandais ce qui avait pu les motiver à faire ce jeu. Sorti au plus fort des manifestations du printemps, 49:3 est un jeu pour mobiles qui plonge le joueur dans un pays, la Fange, miné par les mouvements sociaux. Suite à l’élection d’ « Emmanuel Valsons » malgré 79% d’abstention aux présidentielles de 2017, un mouvement militant émerge. Le jeu consiste à gérer ce mouvement, et à prendre des décisions pour réagir aux exactions du pouvoir. Pour chaque situation, le joueur a le choix entre deux actions, qui lui coûtent plus ou moins de manifestants, et qui sont plus ou moins risquées.

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En retranscrivant cet entretien, j’ai eu le sentiment que les réponses de Paul et Edouard risquaient bien de soulever quelques objections voire, des critiques acerbes. Mais Paul et Edouard n’ont pas fondé de parti politique, Atomic Raccoon n’est ni une association, ni une « initiative citoyenne ». C’est juste un petit studio qui occupe en fait deux bureaux dans un bureau d’architecte, et dont les membres ont envie de se marrer en faisant marrer les autres. Et leur manière de le faire, c’est en créant des jeux débiles.

Je suis allé rencontrer les mecs d’Atomic Raccoon après avoir fait seulement 2 parties de leur jeu 49 : 3. Je me demandais si c’était du foutage de gueule etc. Finalement,  les deux potes sont assez éloignés sur le sujet, avec un vraiment impliqué et l’autre qui préfère regarder de loin. On a eu une discussion assez politique, sur l’intérêt du jeu vidéo en politique. En retranscrivant cet entretien, je me rends compte qu’il va susciter beaucoup de questions — moqueuses — chez les détracteurs des mouvements sociaux actuels, mais même peut-être auprès des lecteurs. Pourquoi militer tout en étant en plein dans le système, pourquoi critiquer le jeu vidéo et travailler d’arrache-pied à un jeu de course sans scénario ? Bref, pourquoi ne pas renverser la table et tout changer d’un coup ? Peut-être parce que, comme le disait Alain Bertho, la prégnance du système est trop forte, et en attendant de trouver comme avec un Satori, toutes les réponses pour régler en deux secondes, ce qui ne va pas en ce bas monde, Paul et Édouard parcourent la route qui les mènera à leur solution — faire des jeux qui sont des bonnes distractions sans promouvoir d’idéologie particulière, gagner un peu de blé et pouvoir continuer de travailler sur des projets qui leur plaisent.

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Salut les gars. Comment vous avez eu l’idée de créer un studio de jeux vidéo ?

Paul : Édouard et moi on était dans la même école et comme on s’aimait bien, on est restés en contact. Après l’école, on a fait des choses chacun de notre côté. Moi je suis parti sur le commerce parce que je ne savais pas trop quoi faire, puis je suis parti en voyage.

Édouard : Moi je bossais déjà dans le jeu vidéo. J’étais journaliste pour jeuxvideo.com, je faisais des reportages sur les écosystèmes dans différents pays du monde : l’environnement économique, l’environnement culturel, comment tout ça influence le jeu vidéo. Les premiers reportages ont été publiés, mais le public s’est cassé la gueule, donc ils ont arrêté les publications. J’ai rencontré des gens qui ont fait des trucs assez exceptionnels dans le jeu, et ça m’a permis d’avoir plein de contacts et de me dire que ce n’est pas un milieu qui est désagréable, quand tu rencontres les bonnes personnes. Il y a beaucoup de trucs pourris dans le jeu vidéo, mais il y a aussi des types qui sont des amours.

P : Donc il y a un an, on a créé notre studio, Atomic Raccoon. On en avait parlé, un ou deux ans auparavant et là, on s’est dit « c’est parti ». On a cherché un nom, on a posé un Twitter, un compte Facebook et puis voilà.

E : Et on est partis avec l’envie de faire des jeux qui n’ont rien à voir avec 49:3. On fait un jeu de caisse superarcade. On espère beaucoup de ce truc-là pour survivre, mais à un moment donné, on sentait qu’on était en train de plafonner. Du coup, on s’est lancés sur 49:3, un jeu mobile, histoire de faire un truc qu’on pouvait finir en un mois.

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C’était le moment des mouvements sociaux, j’étais en manif toutes les semaines, donc c’était le moment. Et puis ça nous tenait à cœur, sur le support qu’on maîtrise, de parler de thématiques un peu plus adultes. Moi, j’étais en colère ! On se faisait niquer par des CRS trois fois par semaine, c’était affreux, ce qui s’est passé pendant trois mois. Le climat était terrible. Donc il fallait se lâcher aussi, fallait qu'on puisse s’exprimer. P : Oui, parce que le jeu de course c’est un genre dans lequel c’est difficile de donner de l’expression, à travers une histoire, un contexte. Tu peux travailler sur les environnements, mais ce n’est pas un genre connu pour son scénar ! Vous avez beaucoup participé aux manifs ?

E : Ouais, je suis allé à chacune.

P : Moi non…

E : Parce que t’es de droite aussi, quoi.

P : Haha. Ouais, je suis un vendu. Je me suis jamais engagé politiquement comme ça. J’ai plus tendance à me poser, à lire pas mal de trucs…

Mais Édouard, pour toi, sortir ce jeu, c’était politique ?

E : Ouais. C’était une manière de donner un peu de visibilité à un courant. L’idée, c’est qu’il fallait diffuser la « bonne parole », sans rentrer dans un délire messianique à la Julien Coupat. Mais il y a besoin de donner de la visibilité aux personnes qui n’ont pas de voix. Et le faire par l’humour, c’était une bonne idée.

P : D’ailleurs au début, Édouard avait du mal à prendre de la distance. T’étais un peu… C’était pas forcément hyper drôle, ce que t’écrivais ! C’était la réalité, donc c’était assez dur, on n’était pas forcément dans l’humour. Mais à un moment donné, on s’est dit : « Bon, on va faire un truc super satirique. On va partir en sucette. On va changer les noms, on va mettre des trucs débiles. » Parce que quand on parlait de vrais événements, sur lesquels il fallait réagir avec de vraies réponses, on s’amusait moins dans le processus créatif. C’était presque déprimant en fait !

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E : Et c’est pareil pour le joueur. Parce que les vraies réponses à un événement politique, c’est : soit tu ne fais rien, soit tu sors dans la rue et tu prends les armes, en gros. Donc les deux choix que tu aurais dans le jeu, c’est « je prends un cocktail molotov » ou « je prends un caillou ». Et ça aurait été ça pour chaque truc ! Donc on est vraiment allés dans tous nos fantasmes… Genre : « traîner Bernard Arnault en laisse ». Ça, c’est la vraie réponse qu’on aimerait donner à ce genre de situation ! Mais elle n’existe pas, la seule vraie réponse qu’on peut donner, c’est d’aller dans la rue et de jeter des cailloux. De faire sauter des trucs, ou de saboter, mais c’est trop peu varié pour en faire un jeu. Du coup vous êtes partis dans un truc assez cartoon.

P : Oui, les personnages ont un côté très coloré, un peu gentil. Ça me fait penser à Happy Tree Friends. Les textes sont super hardcores, et ils contrastent avec ces décors. La musique aussi est dans le même ton. Ha oui, elle est même insupportable ! Et la boucle est très courte !

E : Ouais, elle fait 20 secondes. Quand on l’a trouvée, on était refaits !

P : À un moment donné, on s’est dit « il faut que ce soit de la bossa-nova » !

E : On voulait de la putain de musique d’ascenseur de merde. Sur des petits jeux comme ça, tu peux faire des trucs qui ne plaisent pas aux gens, qui ne sont pas dans l’idée fonctionnelle du jeu vidéo.

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Vous vous êtes dit qu’il faudrait retenter ça ? Faire d’autres jeux de ce genre ?

E : ​Grave ! On a pris vachement de plaisir à faire celui-là. On pourrait même vendre des jeux, des « newsgames », à des journaux.  Dans la veine de ce qu’a fait Le Monde avec les Panama Papers ?

E : Oui, ou Trump VS Science, par exemple. Mais ce sont des trucs qui sont bankables. L’idée, c’est peut-être d’aller chercher autre chose que la politique spectacle. Les Panama Papers, c’est l’archétype de cette politique spectacle. On voit ça dans les journaux pendant quatre semaines et finalement, il ne se passe quasiment rien.

Stairway to tax heaven, jeu proposé par Le Monde

49:3, c’était aussi l’occasion de se faire un peu de pub, non ? 

E : Non, ce qu’on voulait faire, c’était un jeu qui fasse marrer les gens, sans mettre le studio en avant. On ne voulait pas faire de la récupération — c’est ce dont on aurait pu être accusés. Et on a réussi, parce qu’on n’a pas eu un seul « like » supplémentaire sur notre page Facebook ! Donc éthiquement, on est bons — par contre on va crever la dalle dans deux mois. Bon j’avoue que je n’ai pas fini le jeu. Qu’est-ce qui se passe à la fin ? C’est la même question que pour les manifestations qui ont repris en septembre ? 

P : T’es allé jusqu’où ? T’as renversé l’assemblée nationale ? Après il faut prendre l’Elysée. Et puis l’ONU ! Et après, les milliardaires s’enfuient sur une planète avec leur vaisseau.

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E : Si tu demandes si on donne des solutions sur ce qui pourrait se passer derrière, ou si on a un système politique préféré, non, pas du tout ! L’idée, c’est juste la face de chaos qui se met en place.

P : Et là, ça rejoint ton positionnement politique.

E : C’est ça, ouais. L’idée c’est de créer du chaos pour que les gens prennent position et après, on voit ce qui se passe. La guerre, elle est déjà là. Il faut juste la mettre en avant. Alors Paul, c’est plutôt toi qui as porté l’aspect comique du jeu ?

P : Non, on l’a fait à deux. À partir du moment où on a tranché, on a écrit les textes à deux. Je l’ai modéré un peu parfois parce que… Je ne sais pas si tu es tombé sur le préfet qui se branle sur Pornhub, mais… Je lui ai laissé quelques petits trucs hardcore, mais il y en avait qui étaient un peu too much. Il a été téléchargé combien de fois, vous savez ?

E : Ha ouais, on peut savoir. On peut connaître les noms, les prénoms, le nom du chien. On est sur Google Play hein ! Il a été téléchargé 8000 fois à peu près. C’est cool.

P : et il y a 12000 vues sur le navigateur, donc en gros 20 000 fois des gens qui ont lancé le jeu.

E : Et des gens qui l’ont laissé installé, il y en a un paquet aussi. Ça, je ne comprends pas. Moi c’est le genre de truc que je télécharge et que je mets à la poubelle direct après avoir fait une partie. Mais les commentaires laissent suggérer que ce sont des gens qui montrent à leurs potes. C’est hyper touchant pour nous. Au fond, c’est certainement le plus grand succès de ma vie !

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Mais on est loin d’être les premiers à faire un jeu de ce genre, même si ça ne se fait pas trop en France, malheureusement. Des jeux contestataires, il y en a quand même un paquet. Il y a un gars qui s’appelle Paolo Pedercini, je suis son plus grand fan. Son site s’appelle la Molle Industria. Ils font beaucoup de jeux sur le fonctionnement du capitalisme — il y a tellement de choses à faire là-dessus, c’est dommage que moins de gens l’aient fait. Dans ses jeux, t’es souvent du côté du « mauvais », et ça c’est bien.

Everyday the same dream, Molle Industria. Capture d'écran via

Mais vous, vous avez choisi de faire l’inverse ?

E : Ouais. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui ont une vision naïve du policier ou de l’État. Il faut être confronté à la police de manière négative — c’est-à-dire qu’il faut se faire taper, qu’ils t’empêchent d’aller d’un point A à un point B, ou qu’ils te contrôlent — pour que tu prennes conscience des dispositifs de sécurité qui sont mis en place. De ce que ça implique en termes de liberté. Beaucoup de gens voient les policiers comme ceux qui punissent les méchants et rétablissent la justice. Donc un jeu où on se met du côté de la police et de l’État et où on parle de répression, ce serait assez mal passé. Tropico, ils le font, mais ils ne parlent pas du système démocratique moderne.

P : Si tu fais une caricature, et que c’est bien fait, c’est passe hein ! Le jeu où tu tires au Flash-Ball sur les jeunes de banlieue par exemple.

E : Ça existe ça ?

P : Ben ouais, c’est les jeux Uzinagaz, mais ça existe plus.

Du coup, vous trouvez que le jeu vidéo c’est un bon moyen de faire passer des idées, voire un bon outil éducatif ?

E : C’est difficile de répondre, tu peux éduquer avec tout. Mais le jeu vidéo, majoritairement, c’est un moyen de débilitation de la population, c’est du spectacle. C’est Assassin’s Creed, c’est Squeezy et Cyprien sur YouTube
Du coup, est-ce que le jeu vidéo peut servir à éduquer ? Quand c’est bien fait, oui, c’est sûr.  J’ai rencontré un mec en Uruguay, Gonzalo Frasca, il fait des trucs de ouf : il fait des jeux pour apprendre les additions à des enfants. Les gosses, en sept minutes de jeu ils savent additionner des trucs ! Quand j’étais gamin, j’avais envie de faire un jeu dans lequel tu te mettais dans la peau d’un mec qui galère, avec des énigmes sociales. Mais bon, le problème, c’est que le jeu, c’est de la caricature, quoi qu’il arrive. Prends Age of Empire : les soldats de cavaleries indienne, ils sont montés sur des éléphants ! Ceci dit, le gros avantage du jeu, par rapport au cinéma et à d’autres supports, c’est qu’il y a de l’interaction. Dans 49:3, le joueur doit choisir, il doit appuyer, à un moment donné. Donc l’action est virtuelle, mais l’engagement est réel. OK, merci les gars.