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Culture

Travailler dans une galerie est un enfer

Clients blindés, patrons sadiques, artistes fous : le marché de l'art va vous bouffer.
Toutes les illustrations sont de Lasse & Russe.

Bosser dans l’art ! Vous en avez rêvé, ne le faites pas. Si vous pensiez vous faire une place dans ce grand monde en montant doucement les étapes, alors tentez, s’il vous plaît, d’esquiver celle qui vous verra travailler en galerie. Le milieu de l’art est un univers de passionnés, certes, mais travailler pour son marché, et notamment dans ce septième cercle de l’enfer qu’est une galerie, m’a toujours paru être un bon moyen de perdre son âme, voire d’y laisser sa peau.

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Il existe pléthore de jobs destinés aux plus jeunes et aux plus précaires. Tous sont très différents les uns des autres, mais que vous serviez des burgers, que vous distribuiez des flyers ou que vos journées ne soient qu’une succession de longues minutes passées dans l’immensité d’une galerie désespérément vide, vous trouverez — malgré vous — dans ces boulots alimentaires des enseignements majeurs sur vous-même ainsi qu’un aperçu de la noirceur humaine. En réalité, ces heures passées dans la souffrance ont pour unique but de définir ce que vous ne ferez pas plus tard. Aujourd’hui : travailler en galerie.

On ne décide pas de travailler dans une galerie par hasard, c’est une voie qui est réservée à l’élite des étudiants en art, ceux qui ne produisent rien du tout mais qui en parlent beaucoup : la filière Histoire de l’art. Un chouette monde combinant la précarité inhérente à toutes professions artistiques mélangé au plein-emploi bien connu des métiers de la culture.

La jeunesse et l’insouciance aidant, les jeunes recrues arriveront dans les filets des galeries avec une vision romanesque du boulot. À vous la vie d’artiste par procuration, des invitations tous les soirs, des banquets de vernissages comme seule alimentation, des romances avec de grands esprits, des mentors pour vous épauler et du fric, du fric partout.

Ce n’est pas moi qui le dis, c’est ma pote Louise à qui j’ai demandé de me parler un peu de cet univers impitoyable.

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C’est quoi le pire là-dedans ?
Je ne saurais pas vraiment par où commencer. Les pires moments de l’année sont ceux des foires (FIAC, Art Basel). C’est deux mois de stress intense. C’est pendant ce cours laps de temps que la galerie fait le gros de son chiffre d’affaires annuel . Du coup, tout le monde devient complètement dingue. Et si ta boss est d’ores et déjà volubile en temps normal, elle devient une sorte de démon schizophrène pendant les foires. Vu le prix d’un stand, toute erreur est fatale. Il faut tour à tour gérer l’ego des artistes et niquer la concurrence. Dans le pire des cas, tu peux aussi avoir à battre tes propres collègues parce que pas mal de galeries emploient encore ce système féodal de management où la compétition interne est vue comme un truc sain.

C’est un boulot où il faut connaître des tas de trucs, non ?
Je ne m’étalerai pas sur les connaissances basiques d’histoire de l’art, les mouvements, tout ça, parce qu’en fait, ça sert assez peu. Ce qui est vraiment important c’est de connaître par cœur le travail des artistes que la galerie représente. Si tu ne connais pas bien ça, il va falloir inventer de belles histoires aux clients, et gare à toi si un jour ça se sait. Il faut connaître les manies et les spécificités des gros clients. Il faut se démerder en fiscalité, parce qu’à n’importe quel moment, un collectionneur peut interrompre ton bla-bla sur l’artiste pour te demander à hauteur de combien il pourra défiscaliser son achat. Il faut aussi comprendre les règles douanières du monde entier puis savoir faire marcher l’aspirateur et la machine à café.

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Ce n’est pas un peu bizarre de bosser avec des mecs qui claquent des millions dans une œuvre d’art ?
Au début un peu, et puis en fait, on se rend compte qu’on vend un produit et qu’on a beau en faire des tonnes autour, ce n’est pas si différent que de jouer à la marchande. Un collectionneur c’est simplement un client, alors évidemment, on les chérie parce qu’il dépense plus que pour une tradition à la boulangerie. Ce sont des gros bébés qu’il faut en permanence rassurer : “Mais si, cet artiste va cartonner, j’ai vu que Pinault zieutait son travail et le centre Pompidou a mis une option sur cette pièce !”

Au quotidien, c’est quoi le boulot d’un assistant de galerie ?
C'est majoritairement courir après les paiements des clients, « mec, t’as oublié un zéro sur le chèque ! », veiller à ce que l’achat ne relève pas du blanchiment d’argent, « mec, j’ai vérifié, Zurich c’est pas au Panama”. Ensuite, on se fait pas mal chier, les journées sont terriblement longues. Il faut penser à réclamer son salaire. Mon boss me dit régulièrement que la galerie est dans une situation difficile et que mes primes ne me seront pas payées ce mois-ci. C’est moi qui fais la compta de la galerie. Je sais que tout va très bien.

Il y a des choses qui ont changé dernièrement ?
L’accueil doit être irréprochable, et ce, en toutes circonstances et avec n’importe qui. On a même plus le droit d’être snob. Avec ces milliers de start-up et ces jeunes geeks multimillionnaires qui traînent en jogging et veulent échanger leurs ArtToyz contre de l’art contemporain, on aurait vite fait de passer à côté d’un mec sur le point d’acheter la pièce majeure de l’exposition.

Est ce que c’est un boulot que tu conseillerais ?
Les jolis rêves qu’on a en arrivant vont être, comme je t’ai dit, mis à mal. Vraiment. Cependant, rien n’est impossible et à force d’abnégation et de mépris de toutes formes d’estime de soi, on peut vraiment y arriver. C’est une galère de chaque instant et il y a de grandes chances qu’évoluer en coulisse t’ouvre les yeux sur un monde pourri jusqu’à la moelle. Il faut vraiment aimer l’art à corps perdu pour tenir. À moins de récupérer une galerie familiale ou de proposer quelque chose d’incroyablement novateur et inattendu, il y a peu de chance de s’épanouir. Au fond travailler dans une galerie, c’est travailler pour le capitalisme sans pouvoir capitaliser, on voit passer des factures à 5 ou 6 chiffres tous les jours et on se demande si, en recevant son salaire, ils n’ont pas confondu avec les étrennes de la gardienne. Après, c’est comme toutes les épreuves que tu rencontres dans la vie… c’est censé te rendre plus fort.

Merci Louise, c’est noté. (Évidemment, Louise ne s'appelle pas vraiment Louise).

Pierre Berthelot Kleck écume les pains surprises Perrotin lorsqu’il n’est pas sur Twitter.