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L'équilibre selon Victoire Barbot | Passe à l'Atelier

Entre deux voyages au Mexique, on a croisé la jeune artiste dans son atelier marseillais afin d'y voir les différents états d'une sculpture.

Toutes les photos sont de Victoire Barbot et Léa Chauvet-Levy.

Quand je mets les pieds dans ce vaste atelier ordonné et lumineux, haut de plafond à tel point qu’il donne le vertige par le bas, je ne connais encore rien du travail de Victoire Barbot. Je sais juste qu'elle revient du Mexique, comme moi. Elle y a rencontré un artisan pour fabriquer des boîtes. Dans ces boîtes elle n'y mettra rien. Une boîte pour conserver le vide ? Non, pour y faire entrer ses sculptures. Sauf qu'elles n'y entreront jamais car Victoire, matheuse, les fait entrer par l'imaginaire. Elle calcule les dimensions de ses sculptures au millimètre près pour qu'elles puissent y entrer dans l’optique paradoxale de les laisser sur le seuil. À l’extérieur. J'avais besoin de comprendre. On reprend tout. Rencontre avec cette jeune artiste diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2014 et aujourd’hui accueillie par l’association Astéride en résidence pour six mois, à la Friche Belle de Mai.

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Tu reviens du Mexique ?
Oui, j'étais au Mexique trois semaines, puis j'ai décidé d’y rester trois mois pour monter mon exposition dans une chambre d'hôtel.

Dans une chambre d'hôtel que tu avais louée pour l'occasion ?
Non, au Downton Mexico Hostel dans la chambre que j'avais louée pour moi. Une très belle chambre où il n'y avait absolument rien à part un lit. Un lit suspendu. Je voulais y exposer la toute première boîte que j'avais fabriquée sur place. Je l'ai disposée sur le lit. C'était très simple, très beau. Il y avait là aussi quelques petites “Misensembles” réalisées sur place quand je n’avais pas d’atelier et que j’étais sur les routes.

Cela change tout d’avoir cet atelier pour toi ?
90m2, avec une hauteur sous plafond de 5m… Oui, cela change tout. À Paris j’avais un atelier de 9m2. Ici, j’ai de l’espace mais aussi du temps, pour rechercher, expérimenter, en toute liberté, sans regard, continuer dans mes recherches. Comment expliquer son travail dans 9m2 sans pouvoir le voir, le toucher, l’appréhender, le contourner. 9m2 pour une expo c’est chouette mais pas pour expliquer librement et avec confiance son travail. Moi je trouve que les ateliers sont parfois plus beaux à voir qu’une expo. Il y a beaucoup de ça aussi dans mon travail, des réflexions sur l’espace intime de l’accrochage. J’ai besoin d’espace pour expérimenter mes équilibres, mes accrochages, mes installations.

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Avant que tu me parles de tes sculptures, tu peux me parler de cette mystérieuse boîte mexicaine ? 
Oui. D’ailleurs, c’est amusant parce que je me suis rendue compte en revenant que ce type de boîte est très à la mode, on en voit partout dans les boutiques en France. Elles servent à ranger les bijoux. Cette boîte… Je suis donc allée voir un artisan au Mexique, il a accepté de me former, au chalumeau. Au début il ne voulait pas, la taille de mes boîtes était bien trop grande, il le pensait irréalisable, mais avec un peu de patience et de persistance, je l’ai convaincu, nous y sommes arrivés. Il avait tout de même tenu à ce que j’apprenne parfaitement à faire les boîtes aux formes et tailles standards qu’il vendait. Ma boîte, j’ai pu la faire après une semaine de formation. J'ai appris à découper le verre, sertir de laiton et assembler les différentes parties avec un tout petit point à l’étain. C'est important le savoir-faire pour moi. J'ai un besoin de manipuler. C'est pour ça que je récupère beaucoup de choses. Sur mon établis, tu vois j'ai classé tout ce que j'ai récupéré. Par familles de couleurs, de matières, d'idées aussi. C'est instinctif pour moi de classer, de ranger. C'est une méthode.

Tu assembles ensuite ces petites choses que tu récupères à droite à gauche ?
Oui, je fais ce que j'appelle des "Misensemble”. Je dresse un inventaire de tout ce que je récupère. Puis, je les manipule et je commence à tâtons à créer des structures. Tout ce que tu vois autour de toi, là… Dès lors qu'une structure tient, elle existe et devient une sculpture. L’équilibre fait sculpture. Puis, un dessin naît de cette première forme. Comme si je rangeais, mentalement sur la feuille, ma sculpture, méthodiquement, avec des calculs et un dessin quasiment technique. Ce dessin je le nomme Misenboite. Une misenboîte existe donc pour chaque structure. J'aime l'idée qu'une sculpture puisse exister sous une autre forme. Sous différentes formes d'ailleurs.

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Depuis quand procèdes-tu ainsi, selon cette méthodologie ?
Depuis ma dernière année aux Beaux-Arts de Paris, début 2014. Depuis ce temps-là, je récupère des objets, je les classe puis je commence à les faire se toucher. Après de nombreuses heures d’expérimentation pour que tout cela tienne debout, l’équilibre naît et apparaît alors la sculpture. Une fois que j'ai la sculpture sous sa forme  “première”, je la dessine, et la “range” dans un nouveau dessin comme je t’expliquais tout à l’heure. C'est donc la même sculpture, mais sous une autre étape.

Comment expliques-tu que dessin et sculpture soient la même chose ?
Une photo, je la considère comme un objet. Quand j'ai passé mon diplôme, je me suis rendue compte que cela me gênait de montrer tout mon travail dans le même espace, c’est-à-dire toutes mes sculptures et tous mes dessins. Ce n’était pas possible. Une structure déployée et une structure rangée ne peuvent physiquement pas exister dans la même pièce. Ce sont les mêmes matériaux. Je me suis aperçue que selon cette logique les dessins ne pouvaient être présents physiquement aux côtés de leurs structures référentes. Cela naît d'une réflexion sur la permanence d'une œuvre. Ce n'est pas parce qu'une œuvre est achetée par un collectionneur et disparaît (qu’elle n'est plus montrée en galerie ou dans un musée ndlr) qu'elle n'existe plus. Elle est toujours là. Cette idée de persistance me plaît. Les dessins que je réalise sont peut-être à comprendre comme des modes d'emploi des sculptures. Un autre état de ces choses assemblées.

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Tu ne t'autorises pas à dessiner la sculpture tant qu'elle ne tient pas en équilibre ?
L’équilibre fait sculpture. Le dessin est donc là pour la faire vivre par elle-même. Une manière de la conserver et de garantir son existence quoiqu'il lui arrive. Beaucoup de gens dessinent avant de sculpter. Ils s'aident de leurs dessins pour sculpter, moi c'est l'inverse. Le dessin n'est donc pas un espace de projection et la sculpture est un champ expérimental pour moi.

C'est une démarche plutôt scientifique.
Oui, extrêmement. J'ai fait un Bac S. Même lors de la première étape de mon travail qui consiste à amasser des objets, tous ces objets que tu vois, je veille à les aligner, les classer, les ordonner, leur trouver une logique. J'ai l'impression d'avoir un grillage interne. D'ailleurs j'utilise beaucoup les grilles dans mes sculptures.

Cela est né comment ce rapport à l'ordre ou au classement qui structure et sous-tend ta création ?
Cela peut venir d'une histoire personnelle. Mon père tient du père de son père un magasin de famille, de pièces détachées de voiture. J'y ai vu des milliards de petits objets rangés et classés dans des boîtes qui servent ensuite à construire des vélos ou des voitures… Quand j'ai récupéré mes premiers matériaux pour mes premières sculptures, c'est de cette entreprise que je les tenais. Dans le magasin vidé, les objets à vendre avaient disparus, seuls ne restaient que ceux qui les présentaient; des grilles, des équerres, des matériaux de rayonnage… Je crois que je les ai sélectionnés, récupérés, aussi parce qu’ils sont des référents directs aux artistes que j’aime, j’emprunte naturellement beaucoup à mes pères, de nombreuses références sont dissimulées dans mes pièces, dans l’atelier, ici, ou dans les objets récoltés. Les modernistes oui, mais aussi Matisse, Lewitt, Rauschenberg, Wool. Beaucoup, tous mes objets en définitive, ont une histoire, ils proviennent d’événements et rencontres intimes ou historiques.

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Revenons aux différents états de tes sculptures… Cela m’intéresse l’idée que tu ne veuilles pas montrer dans un même espace et en même temps, tes sculptures, tes boîtes et tes dessins. En quoi cela te dérangerait-il ?
Tous ces états d’une même sculpture : déployé, rangé, dessiné, éclaté sont la même sculpture. Ils ne forment qu’un, une seule pièce, c’est pour cela qu’il me semble impensable de mettre à côté différents états d’une même sculpture. Le dessin ou l’état cartonné ne peut pas être montré à côté de la première sculpture, celle de la  genèse ou encore à côté d’une boîte. Par contre oui, il me plairait un jour de faire une exposition de toutes les boîtes en verre, et de savoir que ces formes sont nées d’un premier état déployé, puis d’un second rangé. Quand je suis allée au Mexique pour construire mes boîtes, je suis partie avec mes "sculptures rangées", c'est-à-dire mes dessins et j'avais l'impression de me balader avec mes sculptures.

À aucun moment, tu ne voudras faire entrer tes sculptures dans les boîtes que tu construis en ce moment pour elles ?
Non… La boîte est la trace d'une sculpture qui pourrait y entrer mais elle ne vaut que par cette trace et non par le fait qu'elle soit un réceptacle. D’ailleurs, ces boîtes, je les considère comme des sculptures en tant que telles. Je retourne au Mexique là pour en construire d'autres…

Là, maintenant ? Alors, Victoire, bon voyage.
Non, pas maintenant. Là, on va aller déjeuner.

Le site de Victoire Barbot dans le cadre de sa résidence Astéride.