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Surprise ! L'héroïne est le moyen le plus dangereux de développer sa créativité

Le neurologue Alain Dagher m'a expliqué pourquoi.

« C'est très agréable », selon Damon Albarn. Photo : Wikimedia Commons

Le problème avec l'héroïne, c'est qu'on ne peut pas vraiment en dire du bien – surtout en public. Damon Albarn l’a appris à ses dépens lorsqu'il a déclaré que son expérience de consommateur d’héroïne avait été « incroyablement créative » et « très agréable ». Les mots du chanteur ont provoqué un tollé médiatique. Plusieurs publications ont crié au scandale et des commentateurs choqués ont affirmé que, dans toute l'histoire des atrocités que peuvent commettre les êtres humains, prendre de l'héroïne était la pire de toutes. C'est le même genre de malaise que suscite la création de « salles de shoot » surveillées ou la possibilité de prescrire de l'héroïne aux toxicomanes pour les aider à mener une vie un peu plus normale. Pour ma part, je comprends d'où vient cette haine largement répandue : l'addiction à l'héroïne est particulièrement horrible. C'est une drogue dévastatrice qui peut ruiner votre vie et celles des gens qui vous entourent.

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Mais j'ai davantage été intrigué que choqué par les confessions sincères de Damon Albarn. L'héroïne m'a toujours semblé être la drogue la moins créative de toutes. Je sais que la cocaïne donne énormément d’idées qui paraissent toujours excellentes (même si ce n’est jamais le cas), et la weed rend à peu près tout hilarant – même si de tous les plus gros mensonges que j’ai pu entendre, « fumer un bon pilon avant une dissert’ de philo permet d’avoir une meilleure note » est incontestablement le pire. De son côté, le LSD a inspiré des générations entières. Mais l'héroïne ? D'après mes connaissances sur la drogue – limitées je l'admets – les héroïnomanes vagabondent souvent à droite à gauche, l'air épuisé et agité. Où est le génie artistique là-dedans ?

J'ai voulu en savoir plus. J'ai donc appelé le Dr. Alain Dagher, neurologue à l'Institut et Hôpital neurologiques de Montréal (plus communément appelé le « Neuro ») pour déterminer si les drogues telles que l'héroïne pouvaient vraiment développer la créativité.

VICE : Que pouvez-vous me dire sur le lien entre la drogue et la créativité ?
Dr. Alain Dagher : Les gens prennent de la drogue pour développer leur créativité depuis très longtemps. Chaque drogue a son propre effet sur la créativité. La plupart des gens sont inhibés d'une façon ou d'une autre. Beaucoup de drogues, surtout lorsqu'elles sont consommées en petites quantités, révèlent cette inhibition. Le meilleur exemple pour cela, c'est l'alcool. Des petites doses de drogues telles que l'alcool provoquent suffisamment de désinhibition pour que l'on devienne, dans un sens, plus créatif.

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Qu'en est-il de l'héroïne ?
Il y a un autre moyen de devenir plus créatif grâce à la drogue : il faut aller au-delà de la désinhibition. C'est-à-dire qu'il faut faire des liens conceptuels dans son cerveau entre des choses qu'on ne relierait pas normalement. Dans une certaine mesure, c'est lié à la folie. Il y a beaucoup d'artistes pour qui la créativité ressemble à de la folie, mais ce n'en est pas vraiment. Dans des cas comme la schizophrénie, des pensées se mêlent ensemble alors qu'elles ne devraient pas forcément être mélangées les unes aux autres – ça provoque une réflexion divergente, des pensées qui vont dans des directions inhabituelles, ce qui peut donner des idées étranges. Être original fait partie de l'idée de créativité. Donc des drogues comme la cocaïne, et peut-être l'héroïne, ont la capacité de provoquer des pensées originales.

L'héroïne peut donc rendre plus créatif.
Je ne sais pas exactement, mais au XIXème siècle les gens consommaient des drogues semblables à l'héroïne. Les romantiques prenaient tous des opiacés. Des drogues comme le laudanum et la morphine étaient souvent consommées à cette époque par les poètes et les peintres pour développer leur créativité.

Les surréalistes tels que André Breton étaient intéressés par la folie, mais aussi par n'importe quel état d'esprit qui peut rendre quelqu'un anormal. On pouvait donc être créatif, dans le sens où l'on était différent.

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Beaucoup de gens prennent de l'héroïne pour se soigner eux-mêmes. On l'utilise en médecine comme anti-douleur. C'est aussi probablement utile pour les gens qui souffrent de dépression ou d'anxiété. Beaucoup d'artistes sont dans ce cas, sûrement à cause de leur métier.

Pourquoi pensez-vous qu'autant de gens ont été choqués par les aveux de Damon Albarn ?
Il y a de nombreuses raisons à cela. La raison la plus évidente est que les drogues, et surtout l'héroïne, sont très dangereuses. Personne ne recommanderait à quelqu'un de prendre de l'héroïne pour devenir un artiste. C'est une des pires drogues qui soit. C'est extrêmement dangereux. Un seule dose peut être mortelle. On peut facilement faire une overdose. J'imagine que c'est pour ça que les gens ont été choqués.

D'après vous, l'héroïne fait-elle l'objet d'une diffamation disproportionnée, comme ça a été le cas avec le cannabis et l'alcool ?
Toutes les drogues, excepté l'alcool, ont été diabolisées à un certain point. Si Damon Albarn avait dit qu'il avait bu deux whiskys pour développer sa créativité, personne n'aurait été outré. Je signale tout de même que l'héroïne est une drogue tellement dangereuse que je ne recommande à personne de l'essayer, même une seule fois.

J'aimerais ajouter que pour être créatif, il ne faut pas seulement être désinhibé. La créativité, ce n'est pas seulement associer des choses, il faut avoir un certain talent. On doit avoir des idées, mais surtout savoir trier les bonnes des mauvaises.

Finalement, l'héroïne ne rend pas hyper créatif, mais elle peut aider à le devenir.
Je ne veux pas faire de morale ; je ne suis pas un expert en matière d'éthique. Mais je peux donner mon point de vue d'expert en neurologie. Les gens disent que ça peut développer la créativité, ils ont peut-être raison. Mais je préfère le préciser : je pense que c'est une mauvaise idée.

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